BIFFF 2016, 1ère PARTIE
Gargantuesque. C'est l'adjectif qui peut venir en tête au sortir d'une manifestation pareille. 13 jours, environ 100 films (pas loin de 60 pour nos pommes, si l'on tient compte des films vus ailleurs auparavant), une chouette ambiance et une très belle salle : ainsi va la 34ème édition du BIFFF, institution bruxelloise que nous visitions pour la première fois. Place au compte-rendu, imposant lui aussi, que l'on découpera en deux parties, accompagnées d'une série d'articles plus longs sur les films qui nous auront le plus marqué. Enjoy !!
Revenants & démons
Produit par Jaume Balaguero, Summer Camp d'Alberto Marini (qui a notamment produit [rec] dudit Balaguero) porte en son titre des promesses qu'il ne tiendra malheureusement pas. De jeunes moniteurs de colonie de vacances débarquent au camp où ils vont travailler la veille de l'arrivée des enfants. Ils sont anglophones, même lorsque les acteurs sont espagnols, produit étrange de cette coproduction hispano-américaine. Le scénario prétexte une volonté du camp de mettre les enfants en contact avec la langue anglaise. Mouais... L'ambiance délétère d'une rencontre communautaire juste avant l'arrivée des infernaux gamins revêtait d'emblée un caractère camp presque mythologique dont le film ne fera malheureusement rien. On commence dans un slasher, puis un virage générique survient, et le scénario se déroule alors comme si le premier jet était en train de s'écrire devant nos yeux, plein d'hésitations et d'accrocs (ces fausses pistes malhonnêtement surlignées, ces retournements de situation grotesques...). Sur le terrain de l'horreur, Marini se prend les pieds dans le tapis en s'essayant à une pâle hystérisation à la Evil Dead, qui ne marche jamais.
Attack of The Lederhosen Zombies signifie, en allemand, "L'attaque des zombies en culotte de cuir", entendre costumes typiques du Tyrol. Le programme de Dominik Hartel est donc celui-ci : proposer une invasion de morts-vivants en pleine montagne autrichienne, qui opposeront des zombies locaux à de petites stars du surf. Sur le ton, forcément, de la franche gaudriole. Et, probablement aidé par un contexte bifffesque idéal pour ce genre de film, celui-ci fonctionne relativement bien. D'une bonne humeur communicative, le long-métrage est surtout surélevé par une gentillette poésie macabre et une très belle photographie tout en néons roses et verts lorsqu'on est à l'intérieur du bar. Les séquences qui s'y déroulent évoquent autant Shaun of The Dead (influence un peu trop envahissante du film) qu'Atomik Circus dans sa manière de peindre un monde en train de s'éteindre à travers le comportement absurde de ses occupants et les vestiges d'une fête morte mais dont les lumières tournent toujours à vide. Alors oui, on a déjà vu ce film cent fois ; non, les gags ne font pas toujours mouche et l'ensemble souffre de problèmes de rythme, mais pour peu qu'on soit dans l'ambiance, ces surf zombies glissent tout seuls.
Alors qu'I Am A Hero et Seoul Station nous avaient presque fait oublier à quel point on avait pu en avoir marre, il y a quelques années, des dizaines de films de zombies qui apparaissaient chaque mois, voilà qu'un film vient nous le rappeler. Night of The Living Deb, de Kyle Rankin, est une laborieuse comédie sentimentale (beaucoup) et horrifique (très peu), empli de personnages crispants, de tunnels de dialogues et de situations statiques. Il ne se passe pas grand-chose, le pauvre Ray Wise joue le rôle ingrat du cache-misère, et on s'ennuie ferme.
Voilà donc le fameux prix du jury du dernier festival de Gérardmer décerné par Claude Lelouch et sa bande qui a tant fait rire ceux qu'il n'a pas fait pleurer. Jeruzalem (avec le Z de Zombie et de série Z) de Doron et Yoav Paz raconte l'invasion de ce centre névralgique symbolique de la lutte israélo-palestinienne par les démons ancestraux ayant inspiré ceux des trois religions qui déchirent la ville. Les frères cinéastes ont la mauvaise idée de parer cette histoire de démon synthétique d'une esthétique née d'un autre démon synthétique, celui du capitalisme. Le film est ainsi perçu à travers les google glasses de son personnage principal, à la faveur d'un techno-found-footage en forme de placement de produit aveugle. Le dispositif donne l'occasion d'une série de fausses bonnes idées (la géolocalisation à l'écran des personnages du film, les fiches d'identité s'affichant à chaque fois qu'un personnage est identifié par la base de données, etc.), et tire à vue à peu près autant que son personnage errant dans une ville belle mais que la mise en scène peine à mettre en avant. Le récit est rocambolesque, le ridicule est souvent de mise (running gag du personnage handicapé envahissant) et pas l'ombre d'un frisson.
Une poignée d'adolescents décide d'invoquer l'esprit de l'enfant né il y a cent ans d'une jeune noire et d'un négrier impitoyable. Ils vont en fait provoquer bien pire. Si on ne comprend pas forcément tout des multiples ramifications de son scénario confus, on comprend en revanche assez bien ce qu'essaient de faire Dante Vescio & Rodrigo Gasparini avec The Fostering. Ce quasi huis-clos à l'atmosphère qui se veut tendue comme un arc malgré un sur-place scénaristique embarassant tente un crescendo diabolique et nerveux. Le problème, c'est qu'on s'ennuie ferme, et que le film peine à provoquer la suffocation et l'horreur. Reste un très efficace traitement sonore.
Rien à voir du côté du russe Queen of Spades, The Dark Rite de Svyatoslac Podgayevskiy, pâle resucée de récentes productions Blumhouse (Oculus de Mike Flanagan en tête) dénué de tout point de vue et du moins sens de l'horreur. Un bien triste et ennuyeux spectacle.
Triste également le retour de Luigi Cozzi avec Blood on Melies' Moon, mockumentaire fauché mettant en scène, dans son propre rôle, le cinéaste italien qui enquête sur le mystère Louis Le Prince, inventeur de ce qui deviendra le cinématographe disparu mystérieusement juste avant que les frères Lumière ne s'emparent de son invention pour la suite que l'on sait. Le film est un bric-à-brac impossible, entre documentaire (on visite la boutique Profondo Rosso de Cozzi à Rome, on fréquente Alain Schlokoff, certains plans semblent sortir droit de la caméra ayant accompagné le cinéaste en vacances à Paris...) et fantastique (à la faveur de séquences de meurtre sans invention et d'une laideur assez inouïe). Pas grand-chose à sauver de cette tentative à la fois ambitieuse et totalement à côté de ses pompes.
Voir aussi :
The Corpse of Anna Fritz de Hector Hernandez Vicens
Curtain de Jaron Henrie-McCrea
Seoul Station de Yeon Sang-ho (à venir)
Bruxelles Noir
Retribution, de l'Espagnol Dani de la Torre, s'inscrit dans la lignée des films d'action « à concept » (Speed de Jan de Bont, Une journée en enfer de John McTiernan) et des thrillers moralistes (The Game de David Fincher, Phone Game de Joel Schumacher) des années 90 à 2000. Un banquier est menacé par un client jadis sérieusement roulé dans la farine, qui a placé une bombe dans sa Wolswagen qui explosera si lui ou ses enfants se lèvent de leur siège. Commence alors un petit jeu du chat et de la souris entre le bourreau actuellement victime et la victime désormais bourreau. Ce qui frappe à la vue de ce Retribution, c'est qu'à la vitesse permanente d'un film comme Speed est substitué un dispositif propice à l'immobilisme. Ce banquier est enfermé dans une voiture qui n'a plus nulle part où aller, comme si la voiture en soi était l'objet de sa présence à l'intérieur. Un cercueil capitaliste, en somme. Si l'idée est bien vue (même si peu novatrice, ce cercueil était déjà celui de Cosmopolis), le film n'en tire malheureusement pas grand-chose d'autre qu'un thriller de facture presque télévisuelle, avec des rebondissements forcés et pas mal de remplissage. La tension n'est pas vraiment au rendez-vous, les (rares) poursuites en voiture sont assez mal filmées. Dommage.
The Deal de Son Young-ho reprend les ingrédients de la bonne vieille recette du polar désespéré, d'ailleurs (Seven) ou de chez lui (Memories of Murder). Un policier voit sa sœur disparaître et arrête par inadvertance son tueur. Trois ans plus tard, il enquête sur d'autres meurtres qui semblent liés à la même affaire, quand bien même le tueur originel est en prison. Contrairement à bon nombre de films Noir coréens récents, Young-ho ne cherche pas le mélange des genres, ni la comédie (Hard Day, Veteran projeté ici-même) ni le fantastique (Hwayi, A Monster Boy). Il tend la corde du polar sombre et s'amuse à entremêler la quête désespérée de trois personnages, dont les rêves et les visions semblent dialoguer, jusqu'à ce superbe plan spiralaire qui voit s'attrouper du monde autour du cœur de l'histoire, ce point aveugle que le film nous refusera jusqu'au bout : le corps de la disparue. Malheureusement, ces quelques bonnes idées ne prennent pas le film à bras le corps, et ce dernier se montre trop souvent routinier et soucieux de bien faire pour nous bousculer absolument.
Voir aussi :
Spy Time de Javier Ruiz Caldera
Scherzo Diabolico d'Adrian Garcia Bogliano
The Invitation de Karyn Kusama
Green Room de Jeremy Saulnier (à venir)
The Exclusive : Beat The Devil's Tattoo de Roh Deok (à venir)
In the future...
L'Anglais The Survivalist, de Stephen Fingleton, traîne ses guêtres dans les festivals depuis quelques mois, où il récolte des éloges réguliers. La déception est d'autant plus grande devant ce film qui prend le parti d'un post-apocalyptique minimaliste qui hésite trop entre naturalisme franc et pose arty (les séquences oniriques, la première confrontation avec un intrus à la faveur d'un long mouvement de caméra clinquant et stérile). Tout ceci à la faveur d'un script atone (il ne se passe pour ainsi dire rien) et d'un défilé d'idées pauvres (pour filmer vrai et cru, on se contente ici de multiplier les plans où un personnage pisse, se masturbe, observe une plaie infectée) voire grotesques (ce montage parallèle incompréhensible qui fait dialoguer un auto-avortement avec un suspense à base de lapin tournant autour d'un piège à loup). Peu d'enjeu, pas la moindre tension, au final un seul horizon : vite, la fin...
Il fallait s'y attendre, l'hystérie tous azimuts d'Hyper Tension commence à faire des petits. Hardcore Henry du réalisateur russe Ilya Naishuller, nous raconte l'histoire d'un cyborg fraîchement robotisé qui part se battre contre une sorte de sorcier qui a enlevé sa femme. Le tout shooté en vue subjective, l'adrénaline et le mauvais esprit en guise de note d'intention. Le film ne se contente pas de jouer la carte de l'immersion héritée du jeu vidéo, il en emprunte aussi le système narratif : notre héros ne fera rien d'autre que courir dans tous les sens, d'un niveau à l'autre, pour tuer le méchant et sauver la princesse. Pire, la progression de l'arsenal de notre personnage suit scupuleusement celle d'un FPS. Riche idée. Mais le pire réside dans l'accumulation de séquences toutes plus grossières les unes que les autres, enrobées d'un humour d'une particulière beauferie. Le genre de grand-huit désagréable, qui ne fait que secouer sans jamais provoquer le moindre vertige.
Roar Uthaug est un cinéaste appliqué, qui s'illustre depuis une dixaine d'années dans la mise en boîte de films de genre plus (Cold Prey) ou moins (Dagmar : L'âme des vikings) bien torchés, mais sans grande personnalité ni originalité. The Wave rajoute une pierre à ce modeste édifice, et le constat reste inchangé. Se frottant cette fois au film catastrophe, le long-métrage illustre joliment mais sans fantaisie un classique récit à l'Hollywoodienne de reconstruction familiale consécutive à une catastrophe naturelle. Rien ne dépasse dans cette copie scolaire et en regardant ces multiples plans sur des personnages qui ne pensent même plus à fuir, fascinés qu'ils sont par la gigantesque vague qui s'approche d'eux, on aurait aimé que le film radicalise un peu son approche et s'attarde davantage sur l'effet de sidération que provoque trop rarement la représentation de ce tsunami. On se serait contenté, en somme, d'une transposition de quelques minutes de La vague de Courbet. Sans scénario, sans personnage. Brealing news : Uthaug a été réquisitionné par Hollywood pour réaliser le prochain Tomb Raider. Il y a une certaine logique...
Voir aussi :
Remake, (not so) re-model
Il est des films dont l'existence même est, dès le départ, une mauvaise idée. Avant même de voir la moindre image, on se demande à quoi bon adapter le Cani Arrabiatti de Mario Bava, qu'on aurait du mal à dissocier de son temps et de son origine, tant il se plaît à broyer son époque tout en dynamitant le moule d'un cinéma de genre dont il use des artifices pour les sortir de leur zone de confort (cet effroyable twist, que nul ne peut avoir oublié). A voir s'agiter Lambert Wilson et sa bande devant la caméra très « création originale Canal + » d'Eric Hannezo et sous le stylo à la mine épaisse et grasse de pas moins de trois scénaristes, on n'obtient pas davantage de réponse. La sécheresse oppressante du film de Bava est ici assujettie à un suspense de bas étage (jusqu'au poncif de la vieille dame infirme qui peine longuement à accuser les coupables, tandis que tout le monde les croit innocents) et à un chemin paresseux qui mène droit à ce fameux retournement de situation qui semble être la seule motivation de cet Enragés.
A l'instar d'Enragés, on peut se demander quel besoin avait-on de s'infliger un remake de Martyrs, le shocker de Pascal Laugier. On ne leur a rien demandé mais Kevin et Michael Goetz s'en chargent quand même. Si le long-métrage de Laugier pouvait agacer par sa violence forcenée et un peu vaine et son scénario grotesque, il avait pour lui une poignée de séquences d'une horreur mélancolique et glaciale (le segment du monstre dans la maison, presque un film autonome). On pouvait espérer que les défauts du film original soient gommés et que l'intrigue soit repensée, et elle l'est dans une certaine mesure. Mais les changements font figure de pis-aller, et c'est grossomodo la même histoire qu'on nous raconte. Tout en constatant, de séquence en séquence, que plus rien n'a la même puissance, que rien n'est gênant ou vraiment malaisant dans cette terne relecture. Un remake sans la moindre pulsation, tout juste opérante et terriblement inutile. Reste, pour le blague, la présence au générique de l'affreusement mauvais scénariste Mark L. Smith, propulsé actuellement pour son (pourtant) affreusement mauvais scénario de The Revenant. Comme quoi...