Fantasia 2010 : Seconde Partie
Le Royaume-Uni était bien représenté, preuve de la santé cinématographique de nos voisins insulaires qui ont vu émerger quelques réalisateurs de films de genre très intéressants ces dernières années.
A tout seigneur, tout honneur, et on commencera donc par la projection exceptionnelle du chef d’œuvre de Ken Russell : The Devils. Sorti en 1971, ce film fou furieux a été censuré ou banni dans la totalité des pays où il a été présenté en son temps et reste encore aujourd’hui d’une intensité déconcertante. Servi par la direction artistique exceptionnelle de Derek Jarman, ce monument de provocation reste d’une incroyable modernité tant sa satire extrême demeure pertinente. Se déroulant dans la France du XVIIe siècle, déchirée entre la chasse aux sorcières et les ravages de la peste, The Devils narre l’histoire (qui, aussi fou que cela puisse paraître, s’inspire d’un fait réel) d’un prêtre libertin devenu la cible de la frénésie sanglante des institutions religieuses, corrompues par l’argent et le pouvoir. Oliver Reed crève l’écran dans le premier rôle et on retrouve une Vanessa Redgrave fantastique dans le rôle d’une sœur bossue illuminée et un Michael Gothard hystérique dans celui d’un exorciste impitoyable. Film libertaire et féroce, presque quarante ans après sa sortie The Devils reste un objet unique, sidérant et d’une densité telle que sa découverte ne déclenche qu’une seule chose : l’envie, pressente, de le revoir. Ken Russell s’est quand à lui vu remettre un prix honorifique célébrant l’ensemble de sa prolifique carrière et eu droit à plusieurs standing ovations chaleureuses. La moindre des choses pour une légende vivante.
Aucun doute possible quand à l'influence de The Devils sur l'un des films les plus attendus de cette 14ième édition du festival. Devenu l'une des vedettes montantes du cinéma fantastique britannique avec des réalisations comme Creep et Severance, Christopher Smith a cette fois mis la barre plus haut en s'attelant à Black Death, thriller médiéval ambitieux doté d'un casting international (Sean « Boromir » Bean, Carice van Houten). Noir et désespéré, ce film à la photographie austère (les directeurs de la photographie européens s'étant semble-t-il mis d'accord pour délaver un maximum leurs images et créer des univers plus désaturés les uns que les autres, le plus souvent pour le meilleur) nous entraîne dans les marécages d'une Angleterre déchirée par la folie religieuse et les exorcismes sanglants. Le jeune moine Osmund (Eddie Redmayne) va ainsi voir sa foi mise à rude épreuve lorsqu'il va être confronté aux agissements d'une sorcière autoproclamée (Carice van Houten, magnétique) dirigeant d'une main de fer un village païen qui semble avoir été miraculeusement épargné par la peste. S'en suivra un voyage sans retour au fin fond des marécages d'un Moyen-Âge morne et violent. Pas encore parfait mais sans aucun doute supérieur à ses long-métrages précédents, le film de Christopher Smith, laisse entrevoir le talent d'un cinéaste capable de réaliser des œuvres denses et personnelles.
On n'attendait pas grand-chose de Doghouse, énième comédie gore surfant sur la vague surexploitée du film de zombies et le succès déjà daté de Shaun of the Dead. Le métrage de Jake West tente d'insuffler au concept l'énergie d'un buddy movie puisqu'il nous présente une bande de potes en quête de régression alcoolisée se retrouvant confrontés à une armée de mortes vivantes avides de chair fraîche. Les personnages sont certes sympathiques, paumés entre le machisme affiché dans la bande et la difficulté de leurs relations conjugales respectives, mais on ne peut qu'être lassé de voir, encore, des types poursuivis par des zombies (ou zombettes), lâchant une blague entre deux éviscérations loufoques. C'est bien trop peu pour stimuler un quelconque enthousiasme.
Heartless, film très attendu et louée par les programmateurs, marque quand à lui le retour de Philip Ridley derrière la caméra après des années de silence. L'ambiance excessivement sombre et glauque de ce long-métrage tire sa substance du sentiment d'insécurité et de violence qui grandît dans certains quartiers de Londres, comme dans de nombreuses villes d'Europe. Ce malaise urbain, illustré par de très belles images d'une ville qui semble plongée dans une nuit interminable et menaçante, va grandir dans l'esprit de Jamie (Jim Sturgess), un être blessé et lancé dans une quête désespérée d'amour et de reconnaissance dans la multitude impersonnelle de la ville. Délinquance ultra-violente sans visage et isolement affectif, c'est la vision définitivement noire que Philip Ridley nous propose du monde urbain au XXIe siècle. On pense à Clive Barker (pour le surgissement du Malin aux portes du quotidien), mais aussi au récent Left Bank (excellent film fantastique flamand présenté à Fantasia en 2009 et sortit récemment en DVD zone 2) et bien sûr, inévitablement, à Orange Mécanique. Mais force est de constater qu'on a du mal à accrocher à un scénario trop alambiqué, réutilisant sans génie des recettes usitées et allant même parfois jusqu'à la référence maladroite (la scène des photos, type Blow Up). Étrange film donc que ce Heartless, porté par une ambiance plutôt originale et une histoire relativement ambitieuse mais plombé par un développement poussif et un manque de subtilité parfois très pesant. Un film plutôt raté donc, mais néanmoins intéressant grâce au travail visuel effectué par Philip Ridley et son équipe.
Le festival Fantasia proposait également une projection de Centurion, dernière création du très sympathique et loquace réalisateur Neil Marshall. Après le succès du très surestimé The Descent et le four du catastrophique Doomsday, le cinéaste montre une nouvelle fois son attachement pour le cinéma des années 80 et la série B, mais se montre étonnement beaucoup plus inspiré. Comme le réalisateur l'a lui-même expliqué avant la projection, l'histoire du film est basée sur la disparition mythique d'une légion romaine à la lisière de ce qui devait devenir l'Ecosse et de la construction consécutive d'un immense mur d'enceinte autour des terres septentrionales de la Grande-Bretagne. On assiste donc à la défaite de la légion emmenée par le général Titus Flavius Virilus (Dominic West, le génial Jimmy McNulty de la série The Wire), puis à la fuite désespérée d'une poignée de survivants faits prisonniers par des guerriers celtes sanguinaires. L'essentiel du film se concentre ainsi sur la chasse à l'homme qui s'ensuit et se révèle être un concentré d'action brutale et très bien filmée. Terminé les cascades irréalistes et lourdingues des précédents opus, place à une action simple et efficace, tout droit sortie des meilleurs actioners qui ont fait les beaux jours de nos défunts vidéoclubs de quartier. Michael Fassbender est totalement crédible en héros de ce film d'action en sandales tandis que la sculpturale Olga Kurylenko campe une chasseuse sans pitié avec un charisme incontestable, un casting de seconds rôles au poil complétant cet habile jeu de massacre. La violence est filmée avec précision et retenue, et Neil Marshall accouche ici d'un métrage qui s'inscrit dans la plus pure tradition des grands survival burnés des maîtres John Boorman et John McTiernan, en y ajoutant une touche de film d'époque pas déplaisante. Centurion fait donc partie des très bonnes surprises de ce festival et ravira à coup sûr les amateurs d'action stylisée, et s'il ne s'élève pas au rang de chef d'œuvre du genre le film révèle une facette très intéressante du travail de Neil Marshall, qui réalise de très loin son meilleur essai. On ne peut que lui souhaiter de continuer dans cette direction et regretter la sortie française confidentielle du long-métrage, qui méritait beaucoup mieux.
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