Le cinéma canadien était bien représenté sur ses propres terres puisque le festival présentait de nombreuses œuvres locales aux budgets et ambitions très divers.

Commençons par le très intéressant Sortie 67 du montréalais Jephté Bastien. Si la réalisation approximative du film lui donne parfois un côté presque amateur, il faut cependant saluer le mérite de ce cinéaste débutant qui signe ici la première œuvre de cette ambition sur une communauté méconnue de la métropole québécoise. L'histoire se déroule ainsi dans les quartiers nord de Montréal, la fameuse « sortie 67 » correspondant au nom de la station principale du quartier Saint Michel, ghetto où le désespoir et la délinquance grandissent de jour en jour. On suit donc l'itinéraire de Ronald (Henri Pardo), jeune garçon appartenant à la nombreuse communauté haïtienne de la cité insulaire, et qui va se faire happer par la spirale de la criminalité et des gangs de rue. Tourné avec beaucoup d'acteurs amateurs ou débutants, le film nous montre l'autre visage de Montréal, très loin des clichés inhérents au Québec et de la dolce vita de la ville aux cent festivals. Toutes proportions gardées, on peut comparer l'œuvre de Jephté Bastien à des films comme Boyz N' The Hood ou La Haine, dans la mesure ou il attire l'attention pour la première fois sur une communauté exclue de la société et retranchée dans des quartiers devenus des zones de non-droit. On ne peut qu'être fasciné par les dialogues, qui a défaut d'être subtilement écrits sont la représentation directe du langage utilisé dans la communauté haïtienne de Montréal, sous haute influence afro-américaine, mélange inattendu de français, d'anglais et de créole. Les protagonistes sautent d'une langue à l'autre avec une souplesse déconcertante, mais ce dialecte moderne reflète aussi – outre l'aspect multiculturel de la métropole qui rappelons-le est à plus de 50% anglophone – la difficulté de trouver des repères identitaires dans un monde qui tend de plus en plus vers la globalisation. Ronald personnifie cet égarement identitaire puisqu'il est lui-même métis (tout comme l'était avant lui le Jamie du trop méconnu Rage de Newton I. Aduaka) et que le film va se concentrer sur sa tentative de renouer avec son père naturel, blanc et externe à la communauté. S'il n'est pas le premier à traiter ce thème délicat, le film de Jephté Bastien possède la grande qualité de l'amener sur un terrain totalement inédit avec une sincérité enthousiasmante. On ne peut que souhaiter que ce cinéaste débutant continue sur ce terrain ambitieux et acquière une maîtrise technique à mettre au service de ses aspirations profondément humanistes.

Sortie1

Autre petit film, mais précédé d'un important buzz, le très intrigant Neverlost de l'ontarien Chad Archibald laisse malheureusement un goût très mitigé. Rempli de bonnes intentions mais incapable de se démarquer réellement d'influences par trop pesantes (Aronofsky et Lynch surtout), le film raconte l'histoire d'un homme dépressif qui va fuir le quotidien morne et violent de sa vie conjugale en s'enfonçant chaque fois plus profondément dans un univers onirique où il retrouve la perfection de son premier amour disparu il y a des années de ça. Seulement voilà, si la peinture de l'univers glauque que tente de fuir Josh (Ryan Barrett) est plutôt réussie, celle du monde « parfait » après lequel il court est d'une mièvrerie consternante. La petite amie rêvée est une bimbo trop lisse et le blanc laiteux qui illumine constamment le tout termine d'achever la crédibilité de cet univers plat et lourdingue. Autre souci, un scénario maladroit qui se repose un peu trop sur la facilité du « il ne faut pas chercher d'explication logique » et s'embourbe peu à peu dans une incohérence déconcertante. Neverlost est donc une œuvre naïve, dont on salue tout de même la spontanéité et l'indépendance. Mais n'est pas Lynch qui veut.

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Autre ampleur pour la comédie vampirique Suck du multitâche Rob Stefaniuk (outre d'être la vedette du film, il en a écrit le scénario, l'a réalisé et en a composé la bande originale). Le film – dans lequel interviennent des guest stars de luxe comme Alice Cooper, Iggy Pop, Henry Rollins et Moby – narre la tournée compliquée d'un petit groupe de rock à travers le nord du continent. Lorsque la ravissante bassiste (Jessica Paré) se fait mordre par un vampire, les membres du groupe découvrent le pouvoir hypnotique des goules et son application très effective au concept du concert de rock. S'ensuit un succès grandissant au rythme des victimes et bientôt tous les musiciens veulent avoir le privilège de partager ce pouvoir extraordinaire, tandis qu'un chasseur de vampires cabôtineur (joué par le grand Malcolm McDowell en personne) se met à les traquer sans répit. Habile mélange de musique, de comédie fantastique et d'énergie rock n' roll, le tout saupoudré de références à la culture rock et de dérision, Suck reste cependant un film limité, sans vrai génie ni originalité. Reçu avec un enthousiasme communicatif par un public complètement acquis à sa cause, Suck est un long métrage fun et sympathique, mais tout de même très redondant et finalement assez oubliable.

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Gros morceau de cette édition 2010 de Fantasia, et présenté lors des derniers jours du festival, le très attendu Scott Pilgrim Vs The World marque le retour d'Edgard Wright derrière la caméra après les déjà cultes Shaun Of The Dead et Hot Fuzz. Réalisé par un anglais donc, mais co-production internationale, le film se déroule dans un Toronto enneigé et dégage une ambiante hivernale enveloppante. Adapté de la bande dessinée canadienne éponyme de Bryan Lee O'Malley, Scott Pilgrim Vs The World raconte les aventures surréalistes d'un adolescent (joué par le toujours très bon Michael Cera) qui va devoir affronter dans des duels délirants les sept « exs maléfiques » de la fille de ses rêves. Très enthousiasmant au départ (la première demi-heure est absolument jouissive), le film ne tient malheureusement pas la distance (une bonne demi-heure de trop) et s'enlise dans une redondance ennuyeuse au fur et à mesure des combats de Scott. Ce qui fonctionne à plein régime au début – références culturelles en pagaille, hymne aux jeux vidéos et à la bande dessinée – tombe très vite dans le gimmick et l'apparition du génial Jason Schwartzman (pour le coup un peu mou) à la fin du film ne sauve pas ce dernier du semi naufrage. On aurait aimé plus des dialogues savoureux et des situations poétiques qui rythment le début du film à la place de ces combats interminables et absolument pas originaux, en plus d'être plutôt mal chorégraphiés. Edgard Wright a ainsi du mal a amener le film au-delà de son concept de départ et ce qui aurait pu devenir le film culte de tous les trentenaires avec un penchant pour la régression poétique (un peu à la manière du The Wackness de Jonathan Levine) reste finalement un petite déception. En espérant qu'Edgard Wright retrouve prochainement l'inspiration débridée du génial Hot Fuzz, où son talent de cinéaste raffiné et observateur s'exprimait à plein régime.

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