Pour conclure ce tour du Monde en quarante et quelques films, gros plan sur quelques-uns des films présentés dans la section « Documentaries From The Edge » de cette édition 2010 de Fantasia.

Honneur au régional de l'étape, avec Under The Scares du québécois Steve Villeneuve, regard d'un jeune réalisateur sur le cinéma d'exploitation qu'il affectionne tant et au sein duquel il a déjà fait quelques armes. Villeneuve est partit à la rencontre de personnalités diverses officiant dans les marges du cinéma commercial, interviewant des dizaines de cinéastes, acteurs, producteurs et autres screem queens. De John Waters à Frank Henenlotter, de Trauma à Rue Morgue, le cinéaste donne la parole à tous ceux qui font vivre ce cinéma décalé et le plus souvent fait avec des bouts de ficelle par des passionnés décomplexés. Le film manque cependant de la rigueur qui aurait pu lui permettre de proposer une véritable thèse, se cantonnant un peu trop à des productions trop underground, voire carrément Z, plutôt que de chercher en quoi cette absence de moyens financiers peut offrir une telle liberté de ton. Un peu brouillon, Under The Scares a quand même la belle singularité d'offrir la parole à des oubliés de l'industrie cinématographique, qui chacun à leur façon proposent des manières alternatives de produire des films hors des grands circuits de distribution. On ne peut que soutenir la démarche, spontanée et définitivement honnête.

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Toujours du côté d'un cinéma d'exploitation pur et dur, mais en dessous de la frontière cette fois, le très attendu Herschell Gordon Lewis – The Godfather of Gore, co-réalisé par Frank Henenlotter et Jimmy Maslon. Commençons déjà par préciser que la séance tardive de ce documentaire était présentée par Henenlotter, Maslon et Herschell Gordon Lewis en personne, vieillard goguenard qui a sidéré la salle (malheureusement à moitié vide) lorsqu'il s'est mis à entonner l'hymne de 2000 Maniaques pendant plusieurs minutes. Un moment d'anthologie. Le film, qui faisait sa première mondiale à Fantasia, se veut un véritable hommage à celui qui est donc considéré comme l'inventeur du cinéma gore, et un enthousiaste plaidoyer pour la redécouverte de ce cinéma bis que Henenlotter et comparses ne cessent de dépoussiérer depuis des années avec la maison d'édition Something Weird Video (qui co-produit par ailleurs le film). On y découvre les débuts de Lewis dans les nudies, ces films qui avant l'explosion de la pornographie dans les années soixante-dix faisaient figure de provocation en montrant des personnes dans le plus simple appareil, se baladant nonchalamment sur des plages naturistes et occupés à d'autres activités innocentes. Les anecdote cocasses des premiers tournages gores pleuvent au fur et à mesure que Jimmy Maslon (Henenlotter ne s'est occupé que du montage) donne la parole à ceux, souvent amateurs, qui ont été embarqués dans les aventures cinématographiques marginales de l'hyperactif bricoleur Lewis. Au-delà des œuvres finalement assez oubliables du parrain du gore, on retiendra surtout cette époque de transition cinématographique, à l'aube de la révolution des mœurs de la fin des années soixante, qui aura vu naître une des branches les plus exploitées du cinéma populaire. Ou comment l'explosion de la sexualité crue à l'écran a correspondu à l'exposition des viscères au centre de l'image, lorsque la chair est soudain devenue filmable et que l'anatomie s'est exhibée avec outrance sur le grand écran. Un moment clé de l'histoire des images sur lequel les cinéastes nous proposent un regard original, à travers le cas particulier d'un personnage à l'influence incontestable. Une nouvelle fois, l'amour inconsidéré de la bande à Henenlotter pour ce cinéma d'exploitation d'un autre temps, ce fameux cinéma de la 42ième rue, éclate à l'écran pour le plus grand bonheur des aficionados d'une histoire alternative du cinéma. Gros bémol tout de même, on sent que la bande de potes derrière le film, si attachante qu'elle puisse être, se complait un peu dans une remémoration amusée des anecdotes cocasses propres à ce genre de productions, tandis qu'on aurait préféré une analyse plus distanciée et sérieuse du phénomène. Le film est un peu long car trop répétitif.

À noter que le classique Blood Feast, qui a marqué le coup d'envoi du cinéma gore par Herschell Gordon Lewis en 1963, était projeté dans la foulée pour les courageux restés bien au-delà des heures ouvrables montréalaises. Force est de constater que le film a atrocement vieilli et s'avère être une série B, voir Z, désuète et plutôt ennuyeuse. Le film reste un jalon important qui aura eu un impact profond sur le reste de l'industrie cinématographique, démontrant une fois de plus la formidable faculté du cinéma américain à prendre la source de ses innovations dans les branches les plus marginales de sa production.

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Quand à lui solidement ancré dans une réalité tout ce qu'il y a de plus atroce, Feast Of The Assumption : BTK And The Otero Family Murders de l'américain Marc D. Levitz s'attaque à un sujet très sensible en allant à la rencontre des survivants d'un terrible massacre qui a marqué le Kansas et l'Amérique toute entière. C'était le 15 janvier 1974, lorsque le tout jeune Charlie Otero (15 ans) a retrouvé ses parents et sa sœur horriblement massacrés par celui qui allait devenir le tristement célèbre BTK, tueur en série responsable de 10 meurtres entre 1974 et 1991. Levitz suit Charlie Otero, 49 ans, dans sa tentative de réinsertion (après un passage par la case prison) et son cheminement de victime survivante d'un tel drame. Le film va prendre une tournure inattendue lorsque Dennis Rader est finalement arrêté plus de 30 ans après les faits. Charlie et les siens (sa petite sœur et son petit frère ont également survécus) vont donc devoir faire face à celui qui a changé leurs vies à jamais à travers un procès long et médiatisé, et tenter d'en ressortir en paix avec leur passé. Le film, qui comporte des images d'une crudité choquante (des photos des lieux du meurtre sont montrées lors du procès et le cinéaste ne nous les épargne pas), repose sur un équilibre très instable entre une sincérité véritable et un voyeurisme complaisant dans lequel il réalise l'exploit de ne jamais tomber. Probablement grâce à l'affection que le cinéaste semble porter pour Charlie, homme massif qui porte encore en lui le petit garçon traumatisé auquel il ne peut échapper. Portrait de personnages bien réels aux émotions à vifs, traumatisés et marginalisés par leur expérience extrême et inimaginable, Feast Of The Assumption plonge au cœur d'un ouest américain marqué par une histoire parsemée de violences extrêmes (on notera que Charlie fait de nombreuses fois référence à la version cinématographique de De Sang Froid, dont la vision aurait inspiré le meurtrier, et dont les événement tirés eux-mêmes de faits réels se déroulent également au Kansas), et découvre finalement la profonde humanité de ces hommes et femmes à qui on a refusé le droit de vivre une vie normale. Charlie n'est autre qu'une personnification du combat quotidien d'un homme pour continuer de vivre malgré les horreurs de son passé, la quête désespérée de normalité d'un homme blessé dans sa plus tendre enfance et qui porte en lui des cicatrices qui ne se refermeront jamais vraiment. La scène où Charlie retrouve son ex-femme et le fils handicapé qu'il a cru perdre, et le bonheur qui semble se dégager de ces instants d'une simplicité déconcertante, vient conclure le film de la plus délicate des manière, sur une note d'espoir fragile. Un pur moment de cinéma.

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Enfin mais pas des moindre, le public déchaîné de Concordia en a eu pour son argent lors de la projection du rockumentaire Lemmy, déclaration d'amour total pour le charismatique leader de Motörhead : Lemmy Kilmister. Si les deux cinéastes Greg Olliver et Wes Orshoski sont ouvertement fans, leur film n'en est pas moins une plongée honnête dans l'univers hétéroclite de cette légende vivante considérée comme l'un des pères fondateurs du heavy metal. Lemmy revient donc sur les quarante années de carrière de ce monstre sacré du rock, depuis ses débuts dans les campagnes du Royaume Unis jusqu'à la consécration tardive avec Motörhead, en passant par les agitées années Hawkwind. On reste ébahi devant l'honnêteté du personnage, aux goûts parfois très particuliers (sa réponse à la question inévitable sur ses choix vestimentaires discutables pourrait résumer le film et le personnage) et à la philosophie définitivement extrême. À 65 ans, Lemmy continue de hurler sa rage au micro, à labourer sa basse et à rythmer son quotidien par un cocktail explosif de Jack Daniels et d'amphétamines qui aurait du mettre fin à sa vie il y a bien longtemps. C'est ça Lemmy, un type plus vrai que nature, sorte d'indestructible qui inspire le respect aux plus grandes stars du rock (il fallait entendre le public jubiler aux innombrables apparitions des grands du rock à l'écran) par son dévouement à la musique et son mode de vie inchangé malgré les années et le succès. Il faut dire que Lemmy vit toujours dans son petit appartement bordélique de Los Angeles, fréquente toujours le même bar et continue de collectionner d'obscurs articles relatifs à la seconde guerre mondiale. Lemmy, c'est la plus grande idole de votre plus grande idole (en tout cas si vous êtes fan de Metallica). Et force est de constater qu'on ne peut qu'être contaminé par l'enthousiasme des cinéastes pour ce personnage haut en couleur, strictement authentique car égal à lui-même et dénué de toute hypocrisie. Une fois les lumières rallumées, on n'a qu'une seule envie : voir la bête sur scène.

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