Hollow Man
Hollow Man (USA - 2000)
Réalisation : Paul Verhoeven
Scénario : Andrew W. Marlowe
Interprétation : Kevin Bacon, Elisabeth Shue, Josh Brolin | voir le reste du casting
Œuvre souvent mésestimée, placée sous l'ombre des gargantuesques Robocop et Starship Troopers, Hollow Man marque la fin d'une expérience, à savoir l'exil américain du Hollandais Violent. Un voyage artistique tout à fait détonnant, qui permit à un cinéaste, chassé de sa terre natale après l'incroyablement énervé Spetters, de s'accaparer les grands genres cinématographiques de l'entertainement (science-fiction, action, fantastique, thriller) à des fins clairement subversives. Ainsi cet homme sans ombre est-il parcouru de fulgurances qui sont les derniers élans d'anarchisme d'un artiste maître de l'ambiguïté et de la sauvagerie.
Se servir des passants comme boucliers dans Total Recall, s'approprier les scénarios de Joe Eszterhas (Basic Instinct, Showgirls) pour sublimer la femme typiquement verhoevienne (fragile comme dominatrice, manipulatrice, mangeuse d'hommes et victime), accumuler les satires sociales au sein de l'industrie (Robocop, Starship Troopers, et évidemment le radical Showgirls), proposer du spectacle destroy qui va au-delà du bien pensant...ce n'est pas un hasard si c'est un costume-cravate qui est massacré dans Robocop par une « grosse machine »....et c'est dans cette même optique de manipulation subversive du divertissement que Verhoeven envisage Hollow Man. Encore une fois les FX sont hallucinants et mixés à la transgression : l'ironie de Starship Troopers fait place à la perversion et au voyeurisme, celui du personnage principal (un scientifique surdoué) comme celui du spectateur. Car Verhoeven se souvient des origines de l'homme invisible selon Stevenson : un savant nourri de mauvaises intentions...et il offre généreusement à son public un spectacle où c'est le « méchant » qui devient le « héros ».
Soit un homme arrogant et dénué de culpabilité, se rinçant l'œil face au déplumage quotidien de sa voisine (à la manière de l'acteur de Body Double), tentant de renouer le lien entre lui et son ancienne idylle (Elisabeth Shue, que le cinéaste rend plus charnelle que jamais), trouvant un moyen de concrétiser son génie tout en rendant enfin possibles...ses actes répondant à ses plus vils instincts. Faire d'un tel caractère le protagoniste est une façon pour Verhoeven de railler la morale en privilégiant, comme d'habitude, l'anti-héros. Qu'il s'agisse du flic excessif sexuellement de Basic Instinct ou du Ruger Hauer violeur de La Chair et Le Sang, le héros chez Verhoeven est une première preuve de politiquement incorrect, et il suffit de voir comment le cinéaste, avec Starship Troopers s'empare du jeune soldat type « colgate » dans un but satirique (et dans un univers de barbarie) pour comprendre que chez Verhoeven, rien n'est jamais sagement envisagé.
Sebastien Crane se sert de son invisibilité, donc de son statut d'être surréel, pour agir avec immoralité, et c'est par-là même la technique de chez Sony Pictures Imageworks et Tippett Studio qui est perçue comme un moyen d'irresponsabilité gratuite. Hormis les sublimes séances de transformation, les effets visuels du film sont ceux-ci : meurtres successifs, gorille massacré, dévoilement des dessous d'Elisabeth Shue, séquences de début de viol ou de viol « total »...Verhoeven se sert de son budget et d'une troupe de fous de la prouesse technologique....pour montrer une séquence de « tétée » de mamelon digne des sursauts érotiques de Basic Instinct, de La Chair et Le Sang et de Showgirls. Le digital comme explosion du gore et du sexe, de « la chair et le sang » justement, quand il ne s'agit pas de mélanger les deux (le sceau de sang balancé sur le chemisier devenu presque transparent d'une des victimes de l'homme invisible) !
Et comme dans Showgirls, Verhoeven ne peut s'empêcher de remettre le spectateur face à ses pulsions, en lui offrant ce qu'il désire : du spectacle vulgaire à l'envi dans le premier film cité, et du fantasme dégueulasse dans le film en question (qui n'a pas rêvé d'être invisible ? et que ferait le mâle libidineux...avec de tels pouvoirs ?). Car dans les deux cas le spectateur est voyeur comme l'est Crane, animé des plus malhonnêtes tendances, et il n'y a qu'à décortiquer la séquence du viol pour en comprendre la teneur ! Le public/Crane, durant une séquence en vue subjective, s'introduit, invisible, chez Rhona Mitra, la regarde sortir de sa douche, décale la glace pour mieux contempler sa poitrine, avant de passer à l'acte...l'utilisation de la vue subjective est usée à des fins purement identificatrices...Le spectateur suivant en permanence Crane, sachant ,a contrario des seconds rôles, où il est, comme durant cette courte scène où ce dernier (et nous par la même occasion) observe son ex-compagne s'énamourer avec son rival...
Verhoeven a beau renier ce « bazar » que devient le film en fin de métrage (et cette happy end), il y a ici tout ce qui fait son cinéma...complexité de la vision de la violence, entre fascination morbide et dégoût, plaisir et rejet...jeu avec les personnages, devenant, comme les figures périphériques de La Chair et Le Sang (victimes de la peste), de simples patins dignes de crever, et ce par un sadisme que l'on trouvait déjà dans ce film futuriste de soldats (Starship Troopers) où chaque « beau gosse » est haché menu...l'idée d'un cocktail de sexe et de sang ou la technologie devient encore une fois, après Robocop et Total Recall, une source d'ultra-violence et de déviances...sans oublier cette manipulation auteuriste du sexe, où un certain sentimentalisme (Crane soufflant sur la nuque de son ancienne femme) est directement suivi par une pulsion sexuelle (dans la même scène, Crane glisse se main entre les cuisses de la même compagne..). Un peu comme le luxueux Basic Instinct, où le sexe est un médium de plaisirs comme de brutalité (la séquence entre Tripplehorn et Douglas)...
Délices du divertissement spectaculaire comme jouissance des écarts transgressifs, Hollow Man est un hybride qui provoque tout cela à la fois, film généreux et roublard alliant audace et efficacité de l'entertainement, lasubversion toujours aussi coriace de l'auteur hollandais officiant dans un cadre connu de tous, presque traditionnel (l'image du savant fou, l'expérimentation scientifique dangereuse, et cette fin de slasher movie).
L'expédition de Verhoeven au pays de l'oncle Sam se termine donc dans un vent de souffre, tel l'incendie final du film, soit la victoire de l'Hollandais contre un système qui n'est pas parvenu à le dévorer : c'est plutôt l'artiste lui-même qui s'est plu à parasiter l'engin, tel un grain de sable dans un engrenage, un virus à l'intérieur d'une machine. La suite de l'histoire, soit le retour au pays (Black Book), n'en est que plus belle...