Looper (USA – 2012)

Réalisation/Scénario : Rian Johnson

Interprétation : Joseph Gordon-Levitt, Emily Blunt, Bruce Willis, Paul Dano, Noah Segan...

Dans Looper de Rian Johnson (BrickUne arnaque persque parfaite) le voyage dans le temps ne compartimente pas le film en plusieurs espaces temporels clairement définis explorés par un personnage (comme c'est le cas, par exemple, dans Retour vers le futur). Il n'est pas uniquement prétexte à une invasion du présent par un élément du futur (comme dans Terminator). Il ne représente pas non plus une boucle paradoxale où les temps s'annulent et se complètent en une spirale catastrophiste (comme on l'a beaucoup vu ces dernierères années dans L'effet papillonTimecrimesThe Door) ou en quête d'équilibre (Donnie Darko).

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Looper se rapproche davantage d'un film comme Primer de Shane Carruth, dans sa conception lpus horizontale que verticale du voyage dans le temps. Ici on ne le fait pas en explorant des niveaux temporels au look plus ou moins futuriste et précis. On explore un présent occasionnellement manipulé par le futur, et par ces éléments du futur transformés par des actions perpétrées dans le présent.

De manière simple: à l'exception d'une très belle montage sequence qui voit Joe (Joseph Gordon Levitt/Bruce Willis) vieillir et boucler sa boucle, on ne quitte pas le présent (2044, pour rappel). Si Looper argumente bien sûr autour d'une boucle temporelle, nous ne la vivrons presque entièrement qu'à travers un point précis de cette boucle, une sorte de noeud déterminant.

Le temps est donc envisagé non pas comme l'invasion problématique d'un espace impossible, mais comme cet espace délimité subissant les assauts du temps. On n'envahit plus le temps, on est envahi par lui. Ce qui, l'air de rien, est une proposition cinématographique forte et assez novatrice, que l'on trouve synthétisée dans une séquence (forcément, par essence) horrifique.

Seth (Paul Dano) a laissé filer sa boucle, sa version plus âgée de lui-même. Appelons le jeune S1 et le vieux S2. La mafia veut donc exterminer S1 pour détruire S2 et ainsi mettre fin au désastreux paradoxe temporel. Pour ce faire, ils gravent sur le bras de S1 une adresse à laquelle S2 doit se rendre. Ce dernier la lit en cicatrices, et tente de rejoindre l'adresse indiquée.

La séquence choisit de ne jamais nous montrer S1, de nous laisser uniquement suivre S2. Qui, petit à petit, commence à perdre ses membres. Ses doigts disparaissent, un à un, et chaque amputation correspond à un raccord. L'idée est brillante et évocatrice: combien de raccords lui faudra-t-il avant de n'être plus capable d'arriver à destination? Le film comme lame capable d'amputer son personnage est la première idée visuelle de l'invasion du temps dans un espace présent, concernant cette séquence.

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S2 vole une voiture, et son visage surgissant du noir grâce à une lumière sur la route qui l'éclaire soudainement, le montre le nez découpé. Les modulations de lumière l'amputent désormais elles aussi.

En appuyant sur l'accélérateur c'est son pied qui disparaît. Incapable de conduire il quitte la voiture. En marchant, il perd une demi-jambe et termine sa course en rampant. Arrivé à bon port, la porte s'ouvre et il se prend une balle (bien présente) dans la tête. Pour finir, on distingue au fond de la pièce une table d'opération sur laquelle gît S1, ensanglanté.

La for ce de cette séquence est d'opérer un affect horrifique qui fonctionne totalement par la boucle temporelle, qui ne pourrait pas fonctionner sans elle. En une simple séquence, Johnson figure une horreur du paradoxe temporel pure.

A l'image, on peut considérer qu'on ne voit rien de bien violent, qu'on assiste à une série d'amputations softs remontant presque aux cinémas primitifs, en tête desquels Méliès: des amputations nettes, sans la moindre goutte de sang et sans que rien, à l'écran, ne tranche réellement. Or, dans le cas de Looper, s'imprime forcément dans l'esprit du spectateur l'image virtuelle de l'amputation présente de S1.

La violence de la séquence semble venir aussi du temps pur, de la proximité spatiale (S2 qui rejoint S1) et de l'éloignement temporel, comme si d'un seul coup on assistait à une amputation et à sa cicatrisation instantanée.

A tout ceci s'ajoute un autre caractère horrifique fortement lié au temps: l'inexorable. En très peu de plans assez courts, on assiste (et le personnage avec nous) à une mort qui arrive, et qu'il est impossible d'arrêter.

Pour finir, il y a cette ultime image virtuelle, terrible, qui clot la séquence: S1 est désormais une sorte d'homme-tronc, et il va devoir finir ses jours de cette manière... très lentement. Avec ces deux versions d'un même personnage, nous aurons assisté à l'évocation succinte d'une mort rapide et douloureuse et, en même temps, d'une longue agonie immobile. L'invasion terrible du temps dans un espace figé comme cet éclair qui nous fait voi dans un même mouvement l'instant de notre mort et, par rapport à elle, la lente agonie qu'aura constitué notre vie.

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Le temps qui s'inscrit dans l'espace présent trouve plusieurs figurations simples ailleurs dans le film. Par exemple, le style vestimentaire de Joe est raillé par le parrain qui déplore le manque d'originalité de son style rétro "singeant les vieux films". Cette double distanciation sous-tend d'abord une évidence: pour eux, on est en train de regarder un vieux film. Les costumes datent donc bien du passé narratif. Ensuite, cette réplique apparaît, au début du film, comme un programme de Looper, qui abonde de références et de citations, parfois jusqu'à alimenter le trouble temporel en le déplaçant: en lui substituant un trouble spectatoriel de l'ordre du déjà-vu. Et le déjà-vu est évidemment l'un des symptômes de personnages voyageant dans le temps. Encore une fois, Rian Johnson crée un mouvement temporel au sein d'un espace fixe, convoque le temps dans l'espace plutôt que de nous faire nous déplacer dans différents espaces-temps.

Ces marqueurs temporels sont également présents en tant que signes: l'une des figures récurrentes du film est la petite flèche donnant rendez-vous du boucleur au bouclé. Cette flèche se retrouve de part et d'autre du film, circulant du début à la fin comme elle circulerait du bras d'un personnage jeune à sa réplique plus vieille: il s'agit de la flèche de néon qui indique l'étage du club La Belle Aurore. Au début du film, elle indique le chemin possiblement funeste qui conduit Joe à son boss, qui va peut-être vouloir le tuer. A la fin du film, elle indique au Blue Kid, bras-droit du parrain, le chemin qui le conduira à une mort certaine.

La flèche du destin qui sert de messagerie entre deux versions d'un même personnage se déplace dans le décor et conserve le même statut messager: le film dialogue avec certains des éléments qui le composent.

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