Django Unchained (USA - 2012)

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Dans Kill Bill, un monologue sur Superman mettait la puce à l'oreille et offrait explicitement la possibilité de lire le(s) film(s) comme une redéfinition singulière du super-héros, mais un super-héros dénué d'avatar. La Mariée devenant (pour nous) et redevenant (pour elle) Beatrix Kiddo marque moins le changement d'identité nécessaire pour accomplir sa vengeance que l'accession à une dimension humaine de l'héroïsme permettant de motiver plus profondément cette vengeance. Une manière pour Tarantino d'écrire un personnage de super-héros aux multiples costumes et qui ne se trouve pas une nouvelle identité, préférant retrouver une identité antérieure, fondamentale. Pour tuer Bill, la Mariée froide et vengeresse devra rencontrer l'amoureuse bafouée, Beatrix, pour donner à la fois des armes et du corps à cette vengeance.

Django

Django Unchained travaille aussi une figure héroïque complète, explorée dans son aspect individuel (la naissance du héros et sa quête) et collectif (le rayonnement porté sur les autres). Une belle séquence montre le docteur King Schultz (Christoph Waltz), protecteur et tuteur improvisé d'un Django fraîchement débarassé de ses chaînes, raconter à ce dernier une histoire de princesse et de preux chevalier empruntée au folklore allemand. A la belle étoile, autour d'un feu de camp qui éclaire un lisse écran de roche devant lequel Schultz illustre son récit avec force gestes[1], Django (déjà héroïque) redevient un enfant et s'identifie au héros de l'histoire[2]. La constitution d'un héros passe ainsi d'abord par une catharsis, et vivre ou fantasmer une histoire sont deux dimensions toujours très proches chez Tarantino : l'histoire racontée/montrée en montage alterné par Tim Roth dans Reservoir Dogs, la romance de conte de fée toxique entre Travolta et Thurman dans Pulp Fiction, la mort grotesque et fantasmatique d'Hitler dans Inglourious Basterds...

Le caractère immuable du héros passe, comme dans Kill Bill, par un jeu de masques et de costumes qui ne cesse d'affirmer qu'il est pleinement héroïque, par essence, dès lors qu'il est Django, qu'il possède une identité (et donc sa liberté). Lors de la scène - très drôle - du proto-Ku Klux Klan, les hommes sont d'une bêtise ridicule, et l'uniforme masque blanc fait de ces bêtises individuelles une vaste - et terrifiante - débilité de masse. Leur force d'épouvante grotesque réside dans leur crétinerie, leurs masques n'y changeront rien. Par effet de miroir, Django essaie lui aussi, candidement, un proto-costume (tel Spider Man chez Raimi) qui le ridiculise gentiment, en surface. Et qui crée surtout, par effet de contraste, une certitude: dans ce costume, se trouve déjà le héros Django.

Django 4

Mais la grande idée du film réside peut-être dans la manière dont il opère des glissements entre personnages principaux et secondaires, et les miroirs qu'il crée entre les différents protagonistes et leur double de l'autre camp. Jusqu'à une bonne moitié du film, l'aristocrate sadique, Calvin Candie (Leonardo DiCaprio) apparaît comme le "grand méchant". Or, en fin de deuxième acte (partie du film dont Django est presque absent, et qui se joue essentiellement entre Schultz et Candie), alors que l'un tient à serrer la main de l'autre, ce dernier l'abat et l'on comprend que le duel ne s'est toujours joué qu'entre eux deux. En refusant de serrer la main de Candie, Schultz renonce moins au contrat moral qui le relie à lui (ce contrat est déjà signé) qu'il ne refuse l'amalgamme que cela créerait entre les deux trafficants d'humains, vivants pour l'un et morts pour l'autre. Il refuse aussi, par ce geste, de voir en lui-même l'égal de ce négrier, même si d'une certaine manière le docteur aussi se sert de Django à des fins parfois personnelles.

Django 3

C'est durant cette très longue séquence que naîtra, alors que se prépare à mourir notre premier bad guy, l'ennemi final de Django, qui là encore sert de miroir déformant d'un avenir éventuel. Au cours du long repas servant de préliminaire à la signature du contrat nous évoluons, comme dans un roman d'Agatha Christie, dans une série de pièces clairement identifiées d'une immense demeure bourgeoise (salon, cuisines, bibliothèque), Stephen (Samuel L. Jackson) est le seul personnage qui les traverse toutes et, influant de différentes manières sur les diverses sphères de pouvoir (il joue le rôle du gentil chien de Candie dans le salon, règne en maître en cuisines et se métamorphose diaboliquement dans la bibliothèque où, tel Hercule Poirot, il développe la solution de l'énigme à son interlocuteur qui n'avait même pas vu l'énigme), dévoile dans ce petit une importance plus grande que celle qu'on lui avait prêté au premier abord. On s'aperçoit que son asservissement aveugle doublé d'un racisme sénile (le vieux noir qui abhorre les noirs) cache aussi une intelligence machiavélique gommée par des années passées au contact des blancs.
 
C'est tout logiquement qu'après le duel fatal entre Schultz et Candie, qui ferme un petit récit presque autonome enchassé dans le grand (sans l'artifice du faux flashback cher à Tarantino), Stephen devient l'ennemi ultime de Django. Et il est certain qu'ils ne pourront jamais se serrer la main tant, comme dans les comics, le méchant est identifiable en ceci qu'il correspond parfaitement à son antagoniste[3]: si Stephen est l'ennemi ultime de Django, c'est qu'il incarne tout ce que notre héros ne veut pas devenir: un homme noir totalement imbriqué dans le jeux des blancs, jusqu'à en perdre son identité.
 
Django 5
 

[1] On pense à la leçon sur la naissance du cinéma d’horreur donnée par le producteur du Panic sur Florida Beach de Joe Dante.

[2] Cette séquence répond d’ailleurs à celle, dans Kill Bill, durant laquelle Bill fait sa petite leçon à une Beatrix qui le dévore des yeux et boit ses paroles. Tout ceci également autour d’un feu de camp.

[3] C’est déjà le rôle que jouait Jackson dans Incassable de Shyamalan.

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[1] C’est déjà le rôle que jouait Jackson dans Incassable de Shyamalan.

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