Stoker (USA – 2013)

Réalisation : Park Chan-wook

Scénario : Wentworth Miller

Interprétation : Mia Wasikowska, Matthew Goode, Nicole Kidman...

 

Le nouveau film de Park Chan-Wook est Américain, et il ne fait pas les choses à moitié puisqu'il s'annonce comme un remake officieux de L'ombre d'un doute d'Hitchcock. Mais pas seulement...

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Quatre ans déjà après Thirst, Park Chan-Wook vient s’ajouter à la liste des metteurs en scène « étrangers » hameçonnés par la tentaculaire canne à pêche hollywoodienne désireuse de voir en eux, souvent, des yes-men talentueux aptes à pondre du film de genre mieux (et – un peu – différemment) que ses réalisateurs maison. Le réalisateur coréen se distingue d’emblée puisqu’il n’entre pas dans l’un des cahiers des charges habituels de l’exercice. Il n’a pas réalisé le remake stars and stripes de l’un de ses succès passés (au hasard, le Tarantinement adoubé Old Boy) comme ont pu le faire Hideo Nakata ou Michael Haneke, ni le remake d’un classique horrifique comme on l’a beaucoup proposé à nos cinéastes français, ni même un véhicule à star bankable comme le firent John Woo ou Ringo Lam. Si Stoker reste un film de commande, il n’en demeure pas moins un projet singulier, dans la mesure où il ne se raccroche pas à une franchise ni ne s’emploie à un travail de restauration de meubles anciens.

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India vient de perdre son père et vit avec sa mère dans une immense maison très southern gothic (allure victorienne des personnages en sus), quand bien même le film ne se situe ni dans un lieu précis, ni à une époque particulière. Un mystérieux oncle (Charles Stoker, entendre Stalker) vient immédiatement se substituer au père et crée insidieusement une nouvelle dynamique malaisante du trio familial. Le film reste donc extrêmement référencé puisque le point de départ, on l’a beaucoup lu, rappelle celui de L’ombre d’un doute d’Hitchcock (jusqu’à l’identique Oncle Charlie). Néanmoins, si l’ombre contondante du père Alfred est belle et bien présente (l’oncle tient autant du Joseph Cotten originel que de Norman Bates ; des fleurs, des œufs ou des araignées servent une rhétorique symbolique toute Hitchcockienne), Chan-Wook nous rejoue tout autant The Servant de Joseph Losey (ces escaliers !) que... La servante (la romance perverse entre l’oncle et la veuve empoisonnée par un regard intrus derrière une vitre qui rappelle la scène du balcon du film de Kim Ki-Young), avec son intrus séduisant et trouble semant le désordre au sein du carcan familial. Quant à la narration nébuleuse et à la forme distordue et obsessionnelle, c’est bien le Brian De Palma giallesque qu’elles convoquent. Quitte à souffrir terriblement de la comparaison lorsqu’au début du film, durant la séquence de buffet funéraire, un suspense est articulé autour d’une longue course-poursuite de regards et peine à égaler ses évidentes inspirations (le musée de Pulsions, le mall de Body Double).

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Stoker s’affirme ainsi, dès le début, par une mise en scène sophistiquée à l’esthétisme parfois forcé, mais qui témoigne tout au long d’un vrai bouillonnement et d’une volonté de créer perpétuellement de multiples réseaux de significations et de correspondances entre les images. Après les très récents Spring Breakers et Masks, il y a décidément une tendance au récit nébuleux où présent, flashbacks et flashforwards cohabitent, et qui témoigne d’une intéressante volonté actuelle de s’affranchir d’une certaine rigidité lynchienne lorsqu’il s’agit de se faire onirique. A cet égard, Chan-Wook est finalement plus proche du De Palma de Femme Fatale ou Passion que de ses thrillers des années 80.

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Le film contient ainsi de merveilleux moments où point une solide capacité à suggérer le surnaturel dans ses personnages : les ombres menaçantes de l’oncle par exemple, ou encore la très belle séquence de sortie nocturne d’India qui la montre sur un tourniquet – hors champ – donnant l’impression de tourner magiquement dans les airs, avant d’en sauter et de se faire rattraper par la caméra alors qu’elle est presque déjà au sommet d’une échelle. Il y a aussi de jolies idées formelles, comme ce mouvement de caméra circulaire épousant le chemin d’une ceinture que l’oncle est en train d’ôter de son pantalon afin d’étrangler une victime, et qui devient gimmick stylistique lorsqu’un mouvement de caméra identique accompagne les premières pulsions meurtrières de la jeune fille.

Malheureusement, Stoker souffre aussi de gros problèmes : un symbolisme parfois lourdingue (la répétition des boîtes qui s’ouvrent, l’araignée comme manifestation du désir), une progression narrative décevante (le trio pervers ne fonctionne pas très bien), quelques séquences assez mal construites (le duo au piano) qui gâchent un peu un film par ailleurs assez beau, un conte funèbre sur le passage à l’âge adulte et l’affranchissement des traits de caractère construits par la famille au profit de la découverte de son caractère propre.

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