Shokuzai (Japon - 2013)

Réalisation : 

Scénario : , d'après le roman de 

Interprétation :  | Voir le reste du casting

 

Dans la cour d’une école vide, quatre fillettes attendent le retour d’Emili, leur nouvelle amie fraîchement débarquée en ville. Elle vient de disparaître dans le gymnase avec un inconnu ayant soi-disant besoin d’aide. Durant une heure, les quatre enfants resteront prostrés pendant que la cinquième, dont la stabilité était dès le départ mise à mal (dans le cadre elle était tantôt au centre de l’attention, tout de rouge vêtue, tantôt déboutée hors-champ), est en train de se faire violer et assassiner. Cette immobilité fatale, couplée avec la mémoire dissolue des quatre filles incapables de remettre un visage sur l’agresseur, achève de figer le monde. En premier lieu la mère de la disparue, Asako, qui n’apparaîtra plus désormais que vêtue du noir d’un deuil perpétuel, image glacée que n’atteindra plus le temps : quinze ans plus tard, les quatre fillettes ont grandi, Asako n’a pas changé. Elle revient vers elles pour contrôler l’évolution d’une promesse qu’elle leur a fait faire quelques jours après le drame : retrouver le visage du tueur ou, au moins, trouver une manière de s’amender de leur « faute », sans quoi elles n’obtiendront jamais sa pénitence (« shokuzai » en Japonais, donc).

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Distribué en deux parties dans les salles françaises (Celles qui voulaient oublier, puis Celles qui voulaient se souvenir), Shokuzai est une mini-série produite pour la chaîne Wowow, commande acceptée par Kiyoshi Kurosawa suite à ses difficultés pour faire produire un nouveau projet cinématographique. Adapté d’un roman de Kanae Minato (nouveauté pour le cinéaste scénariste), il s’agit donc d’un feuilleton découpé en cinq épisodes, correspondant chacun à la pénitence de l’un des témoins du drame, puis de la protagoniste qui, finalement, l’articule depuis le début : Asako. Cinq histoires autonomes donc, mais reliées par le fil conducteur tissé avec le prologue, lequel s’est plu à distribuer un indice par personnage qui créera le lien, au début de chaque épisode, avec le récit qu’il introduit. Une fillette a vu disparaître une poupée chez elle, une autre a tâché sa robe avec du sang, une autre encore a serré avec une étrange insistance la main d’un policier : chacun de ces indices déclenchera l’histoire de la fillette devenue grande qui lui correspond). Les quatre récits qui correspondent aux témoins du meurtre développent une série de motifs et de thèmes communs (la vengeance, la pédophilie, la culpabilité, l’enfantement…). Le prétexte policier (qui est le tueur ?) est curieusement en sourdine tout au long de ces quatre épisodes, qui préfèrent scruter le délabrement qu’ont provoqué le meurtre et surtout l’impossibilité des fillettes à se souvenir du visage du meurtrier. Le dernier épisode est centré autour d’Asuka et, tout en répondant aux mystères soulevés par le prologue, fait remonter la source du mystère encore plus loin dans le passé trouble d’Asuka.

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La grande beauté de Shokuzai réside peut-être ici : au lieu de forcer l’impact psychologique d’un drame sur ses différents protagonistes en faisant du meurtre un trauma initial débouchant sur de désastreuses conséquences en même temps qu’une enquête progressive, il préfère fonctionner rétroactivement en implantant dans le destin des personnages les germes des révélations finales. A la fin du film, en ayant écouté les « ultimes secrets » de l’assassin et d’Asako, on observe certaines correspondances entre des éléments du passé et des éléments du présent, que les protagonistes aient été dans la confidence ou non. S’il est entendu que le sort des quatre « témoins coupables » relève d’une certaine malédiction jetée par Asako, figure fantomatique autant que sorcière elle-même maudite, chaque segment du film comporte des répétitions de thèmes ou de motifs (les perles blanches qui se déversent) empruntés aux événements du passé. En clair, le sort des cinq femmes est une amplification magique et tragique des drames initiaux, et là réside la terrible malédiction. Les personnages privés de pénitence sont mécaniquement acteurs d’un drame qui rappellera in fine le « pêché originel » du couple formé par Asuka et par le tueur.

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Si les épisodes (devenus des chapitres au cinéma) sont volontairement soumis à des tonalités et un rythme différents, et si l’enquête constitue moins un arc narratif qu’elle ne se diffuse dans des simulacres presque autonomes de l’intrigue inaugurale, tout circule et communique dans Shokuzai. La culpabilité se diffuse comme un virus, les corps choisissent d’enfanter ou non, les femmes deviennent la poupée qu’on leur a volée ou deviennent l’amie qu’elles ont laissé mourir. De même qu’une force mystérieuse semble planer sur l’ensemble du film : certains personnages sont clairement apparentés à des fantômes, le vent bruisse et diffuse des messages, les coffres s’ouvrent magiquement pour révéler la lettre qui déclenchera tout, etc. Mais, plus frappant encore, certaines images semblent contenir, en brut, cette force qu’elle ne dévoilera jamais tout à fait. Une épaisse fumée, un drap que l’on tire et qui dévoile la ville, un bras qui tire un petit appareil de musculation, des coups brutaux portés sur des cartons pour les déplier, des sachets volant avec une grâce à la fois magique et inquiétante dans un hangar sans vie… Autant d’images qui servent moins l’intrigue ou la portée symbolique des événements qu’elles ne révèlent une force circulant à travers le film, rappelant le lien entre chaque personnage et son passé commun. Si le phénomène d’habitation magique de lieux vides est récurent chez Kurosawa, il est ici démultiplié par la durée du film et par la trompeuse variété de ses histoires.

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