Cheap Thrills (USA – 2013)

Réalisation :

Scénario : ,


Premier long-métrage réalisé par le débutant E.L. Katz (depuis responsable de l’un des segments de l’anthologie ABCs of Death 2), Cheap Thrills marque le retour du furieux Trent Haaga, qui nous avait traumatisé avec le scénario de l’inoubliable Deadgirl ; film sur lequel nous revenions en détail dans le numéro 4/5 de TORSO. Après avoir réalisé un premier long-métrage hystérique avec Chop, l’ancien résident de la TROMA nous revient cette fois associé à David Chirchirillo pour créer l’histoire d’un jeu de massacre qui présente une nouvelle vision au vitriol de rapports humains toujours prompts à se dégrader rapidement dès lors qu’apparaissent les révélateurs impitoyables que sont le sexe, le pouvoir et l’argent. Derrière les faux-semblants et l’amitié de comptoirs, Haaga et son partenaire de plume nous rappellent qu’en Amérique comme ailleurs, dès qu’il est question de protéger son petit cocon, c’est chacun pour soi et tous les coups sont permis. Après une introduction cruelle, Cheap Thrills débute véritablement dans un bar de Downtown Los Angeles, où Craig, un père de famille fauché et fraîchement débarqué de son job de garagiste (Pat Healy, au bord de l’explosion du début à la fin du film) retrouve son vieil ami de lycée Vince (Ethan Embry), qui apparaît immédiatement comme peu recommandable. Les deux compères vont rapidement rencontrer un couple énigmatique emmené par le charismatique Colin (David Koechner), qui semble prêt à dépenser sans compter une quantité apparemment infinie d’argent, et sa ravissante et mutique femme Violet (Sara Paxton), poupée angélique au regard rivé sur son smartphone et ne semblant absolument pas concernée par les excès de son mari. On notera également la courte apparition de la sympathique Amanda Fuller, qui nous avait retourné l’estomac dans Red, White & Blue, ici dans le rôle de la femme délaissée à contrecœur par le personnage principal.

CheapThrills2

Après des débuts tonitruants où il est question de gagner quelques centaines de dollars à chaque nouvelle stupidité effectuée, le quatuor mal assorti va rejoindre le calme tout apparent des collines huppées qui dominent la Cité des Anges ; c’est alors que les choses sérieuses vont pouvoir commencer et la vérité profonde des protagonistes faire peu à peu surface au cœur d’une nuit pour le moins éprouvante. D’abord réticent mais désespérément en manque d’argent pour nourrir sa petite fille, Craig va rapidement se révéler un concurrent à ne pas sous-estimer dans la partie perverse à laquelle les deux amis de lycée vont prendre part. Si on peut bien évidemment voir ici une critique acerbe des excès grotesque de la télévision et des jeux d’argent, Cheap Thrills est surtout une étude acide de personnages très ambigus, tout en apparences et en frustration étouffée. Si le long-métrage n’atteint pas le niveau de virtuosité traumatique de Deadgirl, on retrouve cependant des thèmes communs aux deux films. D’un univers à l’autre, depuis le sous-sol abandonné aux collines de Beverly Hills, chaque personnage n’avance que par et pour lui-même dans un monde désespérant d’égoïsme et de perversité, où chacun est prêt à oublier ses principes les plus fondamentaux lorsque sa propre intégrité physique ou mentale est remise en cause. L’ego par-dessus la civilisation, et le vertige de la marchandisation des corps, qu’elle soit subie ou volontaire. Craig et Vince vont ainsi s’engager dans un jeu de massacre où chaque épreuve met la barre plus haut et remet encore plus cruellement en cause leur supposée amitié, jusqu’à atteindre un point de rupture qui apparaît rapidement comme inévitable. Quant au couple qui les héberge pour cette nuit pas comme les autres, ils vont peu à peu révéler la dynamique toute particulière qui les anime et des motivations pour le moins sadiques.

CheapThrills7

Impeccablement shooté et brillamment interprété par quatre acteurs en pleine forme (et probablement très bien dirigés) – il faut voir la tête sidérée d’Ethan Embry lorsque les choses commencent vraiment à le dépasser – on pourrait certes reprocher à Cheap Thrills d’être un peu prévisible et pas franchement original. Le thème du film est effectivement assez classique, mais le traitement tout en efficacité brute a le mérite de rendre l’histoire captivante et les personnages véritablement attachants en dépit de leurs dérapages systématiques. On a beau s’attendre à l’escalade des événements, le scénario parvient à nous surprendre et à faire monter graduellement la tension. Au final, le long-métrage de E.L. Katz est un bon coup dans les tripes, une oeuvre profondément sombre et dotée d’un humour très noir (là encore, on pense à Deadgirl et ses décrochages à l’humour perturbant), saisissant quelques images fortes (le dernier plan est à l’image du film, peu subtil mais sacrément percutant) et prenant le pouls d’un monde en déroute dans lequel chacun ne peut compter que sur lui-même. Un monde qui révèle toujours plus la nature brutale et individualiste qui rode sous la surface policée de tout un chacun. Et les personnages torturés par leur conscience sont souvent les plus prompts à laisser exploser leur rage. Trent Haaga et consorts continuent ainsi leur exploration sans concession des zones d’ombres qui s’étendent derrière les portes entrouvertes de nos consciences, en équilibre sur le fil tendu à la limite que chacun s’impose et qui menace de rompre à tout instant. Chacun d’entre nous n’est finalement qu’une surface rugueuse renvoyant une image fragmentée, et nous savons déjà qu’une image n’est jamais inoffensive.

Nous reviendrons sur Cheap Thrills dans un dossier consacré à Trent Haaga et sa bande qui sera publié dans la revue papier au début de l’année 2014.

CheapThrills5

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn

Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir