The Seasoning House
The Seasoning House (Royaume Uni – 2013)
Réalisation : Paul Hyett
Scénario : Paul Hyett, Conal Palmer, Adrian Rigelsford, d’après une idée originale de Helen Solomon
Interprétation : Rosie Day, Sean Pertwee, Kevin Howarth | voir le reste du casting
Dans un village des Balkans déchiré par la guerre, une adolescente voit sa famille sauvagement assassinée par des soldats, avant d’être elle-même kidnappée et emmenée dans une vaste demeure isolée en rase campagne. Dès son arrivée, en compagnie d’autres jeunes femmes terrifiées, elle assiste au meurtre sanguinaire de l’une de ses congénères par le maître des lieux, un proxénète sadique qui met les filles à la disposition des miliciens de passage. Muette et affublée d’une tache de naissance au visage, Angel (c’est ainsi que son geôlier la surnomme) va être forcée de devenir la bonne à tout faire de cette maison des horreurs, nettoyant et droguant des jeunes filles attachées sur des lits, sauvagement violées et battues à répétition. Elle bénéficie d’une protection relative en échange de ce travail, et de faveurs sexuelles accordées à son tortionnaire. Incapable de communiquer et semblant avoir sombré dans un état de stupeur permanente, Angel (interprétée par la débutant Rosie Day) va cependant nouer un début de relation avec Vanya (Dominique Provost-Chalkley, ici dans un rôle ingrat), une nouvelle arrivante qui connaît les rudiments du langage des signes. Lorsque cette dernière meurt des suites de ses tortures répétées, Angel atteint un point de rupture et attaque soudainement l’auteur du viol ayant été fatal à son amie. Elle se lance alors dans une vendetta impitoyable, usant de sa petite taille pour se déplacer dans les conduits d’aération de la maison et laissant exploser la violence restée enfouie en elle pendant trop longtemps.
Cette année, difficile d’arpenter le marché cannois en quête de films de genre sans remarquer rapidement The Seasoning House, le premier long-métragedu britannique Paul Hyett. L’homme est un vétéran des effets spéciaux (expert en maquillages et autres prothèses) et vieux briscard du circuit de l’horreur et du fantastique d’outre-manche, puisqu’on le trouve dès 1998 sur Moi, Zombie – Chronique de la Douleur, film ayant particulièrement marqué les jeunes années de certains membres de notre rédaction. Fidèle collaborateur de Neil Marshall, on le croisera par la suite au générique d’une soixantaine de titres diffusés au cinéma et à la télévision (parmi lesquels on compte Heartless, Eden Lake ou encore Attack the Block). Avec ses très beaux visuels et son affiche littéralement recouverte d’étoiles et de commentaires enthousiastes, le tout estampillé d’un bel alignement de couronnes dorées signifiant autant de sélections dans la majorité des festivals dédiés au genre à travers le monde, A Seasoning House nous faisait de l’œil au dernier marché du film. On avait déjà appris à se méfier des élans enthousiastes d’une presse désormais éparpillée sur des sites web plus ou moins recommandables, on se met désormais à devenir de plus en plus circonspect face à des sélections festivalières aux ramifications complexes et obscures. En ce qui concerne Le film de Paul Hyett,outre le goût prononcé d’une partie des amateurs de cinéma horrifique pour la torture explicite et la violence complaisante, on se demande inévitablement si un carnet d’adresses bien rempli n’est pas finalement encore le meilleur moyen de se voir ouvrir les portes des manifestations dédiées…
Filmé sans talent mais non sans prétention – en témoignent d’interminables travellings dans le couloir de la souffrance, des plans de coupe faussement malins et des raccords dans le mouvement inutiles et poseurs – le film de Paul Hyett est surtout une suite véritablement détestable de scènes tirant leur unique substance dramatique de la souffrance exposée de jeunes filles plongées dans une horreur tout ce qu’il y a de plus réaliste. Si le traitement complaisant de la violence dans des films comme les trois Hostel, ou ceux issus de la série Saw,pouvait déjà rebuter, l’ancrage de The Seasoning House dans le monde de la prostitution et du viol rend cette approche carrément insoutenable. Dans The Seasoning House, chaque personnage n’est défini que par la brutalité qu’il subit ou fait subir, chaque plan n’existe que dans la mesure où il est générateur de violence. Bien sûr, on devine rapidement que les auteurs de toutes ces horreurs se verront sauvagement brutalisés à leur tour, dans la logique d’un rape and revenge où le personnage central serait à la fois une victime vaguement consentante (un aspect très douteux du scénario) et un témoin impuissant des viols à répétition. Le succès du traumatisant A Serbian Film explique probablement une partie de la curiosité malsaine autour du métrage de Paul Hyett. En témoigne le décor balkanique du film, ce dernier se voulant inspiré de faits authentiques. Ce n’est bien évidemment pas suffisant pour justifier le traitement complaisant qui est apporté à un tel sujet. Si dans le cas d’un long-métrage comme A Serbian Film, le choix du cadre géographique était expliqué par la nationalité des auteurs et relevait d’un discours sur les institutions d’un pays en particulier, le long-métrage de Paul Hyett se rapproche plus de la présentation ignorante (et limite raciste) des pays et populations balkaniques du navrant Hostel. Le long-métrage de Paul Hyett partage d’ailleurs également avec la trilogie chapeautée par Eli Rothle goût pour une violence gratuite, et les exécutions brutales et expéditives de seconds rôles ou de figurants.
En croisant de la pire des façons les approches de deux long-métrages très radicaux, l’aspirant cinéaste et ses scénaristes créent ainsi l’un des pires exemples de l’utilisation d’une horreur bien réelle à des fins de pur divertissement. L’unique moteur du film est ainsi la peur engendrée chez le spectateur occidental lambda par les atrocités commises dans des régions dévastées par des années de guerres et de génocide, et qui plus est lourdement associées au trafic sexuel. L’utilisation de ce dernier élément à des fins horrifiques, illustré tout au long du film par des images d’une complaisance consternante, et l’absence de tout discours créent un véritable malaise qui culmine dans des scènes de viol insoutenables, filmées crûment et sur lesquelles le cinéaste insiste lourdement. On se sent vraiment gêné pour les hommes et femmes de ces Balkans qui génèrent tant de peurs et de fantasmes malsains, et qui ne sont ici représentés que comme des soldats dégénérés et des victimes déshumanisées. On aura vite fait de faire un parallèle avec un autre thème délicat, celui des camps de concentration et de l’entreprise glaciale de destruction de l’humain qu’ils représentent dans l’imaginaire collectif occidental. Malaise.
Par ailleurs, la belle idée du long-métrage était cette capacité de la jeune fille à se déplacer à travers les conduits d’aération de la maison. Cependant, pour que le dispositif fonctionne, il aurait été nécessaire de donner une véritable notion d’espace au spectateur. Au contraire, on reste ici cantonné à des lieux isolés et complètement déconnectés du reste de la demeure. Le bureau du proxénète, l’escalier ou les combles de la maison apparaissent comme autant d’espaces n’entretenant aucune relation les uns envers les autres. On doit se contenter d’allers et retours paresseux dans un couloir dont chaque porte mène à une identique pièce de réclusion, et il nous est quasiment impossible d’identifier les différentes les cellules et leurs prisonnières, tant les victimes sont déshumanisées. On finira par identifier la jeune Vanya, mais c’est principalement dû à l’insistance que met le cinéaste à nous infliger la vision de ses interminables souffrances. Paradoxalement, le spectateur supposé s’identifier à Rosie (dès le départ, on adopte systématiquement son point de vue) ne saisit jamais sa supposée maîtrise de la géographie des lieux, et fini même complètement semé, abandonné en compagnie des soldats décimés un à un. Peut-être Paul Hyett aurait-il du se refaire une poignée de projections de Piège de Cristal avant de créer son John McClane féminin ? N’est pas McTiernan qui veut…
En fin de compte, la confrontation finale et supposément cathartique avec le personnage ayant réussi à se rendre plus odieux encore que ses congénères (et qui bien sûr est au départ le responsable de l’ensemble de la situation et du crime séminal) s’avère prévisible et dérange, dans la mesure où le plaisir sadique semble avoir changé de camp sans que cela n’apparaissent comme étant un problème, ou même un événement notable. On évitera les métaphores lourdingues induites par l’aspect très féminin du décor de cette opposition finale, d’autant que la nouvelle liberté acquise par Angel après tant de souffrances et d’épreuves n’aura vraisemblablement qu’une durée très brève. À ce titre, l’ambiguïté de la dernière image du film, qui vient faire échos à une scène antérieure, est particulièrement déplaisante et semble enfoncer le clou une dernière fois en nous montrant à quel point, décidément, la région est peuplée de dégénérés, et ce à des kilomètres à la ronde. Dans ces Balkans-là, même les femmes au foyer et les grand-mères sont des monstres en puissance. On peut donc, semble-t-il finalement, parler de film raciste.
On se gardera bien évidemment de juger le cinéaste et ses collaborateurs (là n’est pas le propos), probablement dépassés par leur sujet, mais il est néanmoins nécessaire de dénoncer les travers multiples de cette œuvre complaisante et réactionnaire, qui illustre certaines des pires tendances du cinéma horrifique actuel. Le visionnage d’un long-métrage comme The Seasoning House laisse un fort sentiment de malaise et rappelle qu’on ne peut pas s’attaquer à n’importe quel sujet sans être capable de produire un discours et des images responsables, au risque de cautionner maladroitement ce que l’on prétend dénoncer. Comme nous l’a récemment déclaré le vétéran Brian Yuzna, expert dans le domaine de l’ambiguïté (dans un entretien au long cours que nous publierons en bonne et due forme dans un avenir à moyen terme), il existe une différence fondamentale entre la démarche purement horrifique de montrer des actes de violence perpétrés par des créatures imaginaires, et celle d’ancrer ces actes déviants dans une réalité tout ce qu’il y a de plus humaine. C’est une question de recul et de responsabilité vis-à-vis de la puissance évocatrice des images. Une idée constitutive du cinéma que le réalisateur de The Seasoning House semble avoir purement et simplement oublié.