Jug Face
Jug Face (USA – 2013)
Réalisation/Scénario : Chad Crawford Kinkle
Interprétation : Sean Bridgers, Lauren Ashley Carter, Kaitlin Cullum, Larry Fessenden, Sean Young | voir le reste du casting
Comme souvent, ce n’est pas forcément là où on l’attend qu’on retrouve Lucky McKee. Après le furieux The Woman et l’annonce du remake, avec Chris Sivertson, de leur propre All Cheerleaders Die, c’est à la production qu’on retrouve l’homme également à l’initiative de The Lost (du même Sivertson) ou de Roman (réalisé par son actrice Angela Bettis) avec Jug Face. Le premier long-métrage de Chad Crawford Kinkle semble capitaliser sur la réussite artistique de The Woman, puisqu’on y retrouve une bonne partie de l’équipe, des acteurs (Sean Bridgers, Lauren Ashley Carter) au compositeur (Sean Spillane) en passant par le monteur régulier de McKee (Zach Passero). Le tout encore une fois sous l’égide de Modernciné, la boîte d’Andrew Van Den Houten.
Pour autant, pas grand-chose à voir entre le rape and revenge « familial » de McKee et cette histoire étrange de communauté dévolue à un mystérieux puits maléfique réclamant de fréquents sacrifices. Alimentant une vague récente de films américains focalisés autour d’une communauté isolée (Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin, les récents Electrick Children de Rebecca Thomas ou le remake de We Are What We Are par Jim Mickle), Kinkle se concentre sur une triste bande de rednecks rigides et violents d’où émerge Ada, adolescente dont l’inceste va précipiter de fâcheux événements liés aux forces conjuguées du puits infernal et des infernaux rednecks.
Fort de son sujet atypique et d’une facture visuelle soignée, le film intrigue immédiatement. La découverte progressive d’un univers en vase-clos mais à ciel ouvert, l’audace thématique (l’inceste est de nature amoureuse, pas forcée) et les belles séquences de communications magiques entre le puits et les personnages (dont le montage tout en fondus enchaînés et en associations d’idées en apparence libres semble être définitivement une marque de fabrique de Zach Passero) déploie instantanément un univers singulier et fascinant.
Malheureusement, le récit peine à se développer, les enjeux ne se dessinent jamais véritablement (aucun lien thématique ou symbolique ne se noue entre la communauté et le puits, ce qui surprend si l’on se rappelle de la tentaculaire symbolisation de la Woman) et le film se met à piétiner, sans jamais parvenir à repartir tout à fait. Les séquences horrifiques s’avèrent répétitives, la mise en scène peine à soutenir une histoire sans relief (les embarrassants fondus au noir qui, régulièrement, ferment une séquence qui semble ne pas trop savoir comment s’achever autrement) et confuse, et l’ennui s’installe. Ce qui s’avère finalement dommage, tant on a l’impression que c’est davantage par maladresse que par manque fondamental d’idées que Kinkle passe à côté de son sujet et manque une cible possible qu’on se prend à fantasmer : une relecture à la Jeff Lieberman de Délivrance, qui nous placerait uniquement du côté des rednecks et nourrirait leur dérèglement par une intrusion progressive du fantastique. Rendez-vous manqué donc, mais on se prend à rêver d’un film futur mis en boîte par la joyeuse bande qui mettrait en adéquation sa volonté certaine de se démarquer et des moyens plus solides pour y parvenir.