Shield of Straw
Shield of Straw (Japon – 2013)
Réalisation : Takashi Miike
Scénario : Tamio Hayashi, d’après le roman de Kazuhiro Kiuchi
Interprétation : Nanako Matsushima, Tatsuya Fujiwara, Takao Ohsawa | voir le reste du casting
Donc, Cannes nous l’a appris (Cannes nous apprend toujours beaucoup de choses) : le contexte fait le film. Hué lors de sa projection en compétition (ce qui est gage de nullité pour certains, de qualité pour d’autres, et qui ne dit en réalité pas grand-chose), il paraîtrait que ce film n’avait rien à faire en compétition. Bon. Mais qu’il aurait trouvé les faveurs d’un public moins « exigeant » (le public cannois ? exigeant ??), dans d’autres circonstances. Autrement dit, sorti de tout contexte « mélioratif ». Chez soi, en somme. Là où l’on regarde penauds des films nuls dans le dénuement solitaire de la honte. De préférence un samedi soir. En mangeant des pizzas. Bref, un film hors de son contexte. Il y aurait donc toujours une justice cinéphilique à double vitesse et une hiérarchie générique des films. Un monde dans lequel on autorise nos goûts à s’exprimer en fonction du contexte. Donc, le dernier film de Takashi Miike, Shield of Straw, serait nul en compétition du festival de Cannes mais n’aurait pas été si mal, mettons, au Marché du Film. Ou en VOD, pour viser plus large. En un lieu moins haut que ces cieux où flottent pêle-mêle frères Coen, Soderbergh, Kechiche, bref, de grands, d’immenses metteurs en scène. Un endroit où nos attentes sont limées, voire un peu atrophiées. Un quotidien où on ne regarde pas les films, on les consomme peinards. Parce que les deux échos opposés sont tout aussi agaçants et ne sont que deux revers de la même médaille. Sifflé en compétition, rattrapé par d’autres spectateurs à cause de ces sifflements.
Bref.

Que vaut donc Shield of Straw, vu dans les meilleures conditions possibles, à savoir assis devant un (grand) écran ? L’histoire, déjà, est captivante : un richissime homme politique, Ninagawa, voit sa petite fille assassinée. Il décide alors de publier des annonces offrant une énorme récompense à qui tuerait le meurtrier de sa petite fille. Le coupable, Kunihide Kiyomaru, se dénonce auprès de la police. Ce qui ne le sauvera pas forcément, la récompense étant viable… pour tout le monde.
D’un sujet pareil, on imagine sans mal un polar hirsute et sans temps mort dans un univers urbain, hystéricisé par un pitch qui ne signifie rien d’autre que : chasse à l’homme généralisée. Quelque chose entre Battle Royale et Mises à Prix de Joe Carnahan. Lorsque le train qui transporte l’affreux Kunihide (d’ailleurs interprété par Tatsuya Fujiwara, star de Battle Royale) démarre, on imagine une cavalcade infernale où tout pourrait arriver, où toute la population se mettrait à traquer le meurtrier, et à s’entredévorer pour profiter seul du butin.

De ce sujet fantasmatique, Miike s’empare tout d’abord du côté urbain qu’il suppose, et pose tous ses pions pour offrir une chasse à l’homme imprévisible, avec arguments moraux et considérations éthiques en sus. Malheureusement, il ne s’en donne pas tout à fait les moyens et se contente d’une petite trame policière toute simple, sans débordement et même sans tension. Il ne s’agit pas de dire que Miike s’est assagi (il n’a jamais été univoquement le trublion que l’on aime décrire, il a aussi réalisé Ley Lines ou Bird People In China), ni même qu’il verse éhontément dans le cinéma commercial (La Mort en Ligne l’était tout autant, et c’est un bon film). Il s’agit plutôt de déplorer le manque d’ampleur et de motivation à traiter comme il se devait un sujet pour lequel on était en droit d’attendre mieux de lui.
En l’état, le film n’est pas sans qualité (on y trouve toujours un bon sens du montage, quelques séquences extrêmement bien ficelées) mais s’avère vite ronflant, peu inspiré, pas forcément bien écrit ni, et c’est peut-être le pire, habité. On a le sentiment un peu triste que Miike passe à côté de son film en affichant néanmoins des ambitions démesurées (il se prend un peu, en outre, pour le Michael Mann de Heat). Espérons que la parenthèse sera brève et qu’il nous reviendra plus en forme.
