Conjuring : Les dossiers Warren
Conjuring: Les dossiers Warren (USA – 2012)
Réalisation : James Wan
Scénario : Chad Hayes, Carey Hayes
Interprétation : Lili Taylor, Patrick Wilson, Vera Farmiga, Ron Livingston | voir le reste du casting
James Wan est décidément un personnage intriguant. Le succès de Saw (2004) et sa mise en série tambour battant pouvaient laisser supposer que son réalisateur ne resterait que l’homme d’un seul film, qu’il s’échinerait à en réaliser ses suites (pourquoi pas, ceci dit…) ou errerait dans les limbes un pied gauche dans le B, un droit dans le Z (à l’instar des décidément peu talentueux auteurs du Projet Blair Witch). Or très vite, Wan a pris une direction plus singulière. Il a ainsi réalisé un petit film d’épouvante gothique à l’italienne (Dead Silence, 2007) et un vigilante movie avec Kevin Bacon (Death Sentence, 2007). Jusqu’à une paire de films jumeaux (Insidious en 2010 et aujourd'hui ce Conjuring : Les dossiers Warren) qui déterminent bien le projet de James Wan : réaffirmer après le post-modernisme rigolard et le torture-porn décérébré (dont il est un peu l’instigateur malgré lui) qu’il sera l’homme qui redonnera ses lettres de noblesse à un fantastique plus classique, puisant dans l’Histoire du cinéma de genre sans se placer au-dessus de lui mais sans le renier non plus. Insidious, avec son histoire de possession et d’enfant hanté, rendait ainsi hommage à Poltergeist (Tobe Hooper, 1982) et à L’emprise (Sidney Furie, 1982), film auquel il empruntait d’ailleurs son actrice principale : Barbara Hershey.
Mais, au-delà de ses références, Insidious cherchait surtout à faire renouer le film d’horreur avec une caractéristique qui, bizarrement, n’intéressait plus vraiment grand monde : la peur. James Wan a donc tenté, comme la J-Horror quelques années avant lui, de réinsuffler de la peur à un cinéma horrifique devenu trop rigolard, ou trop porté sur le froid démembrement systématique et les giclées de sang hystériques. Il a donc rejoint le petit cercle d’œuvres horrifiques récentes parvenant réellement à faire peur (puisqu’il ne faut pas oublier, par exemple, The Descent de Neil Marshall ou le premier [rec] de Jaume Balaguero et Paco Plaza). Grâce à une mise en scène articulée autour de la possibilité perpétuelle que quelque chose de dangereux ou d’effrayant se cache dans le plan, ou encore grâce à une musique emphatique et baroque. Grâce, enfin, à une volonté de ne jamais figer son imagerie et de donner le sentiment que tout est possible. Et c’est une caractéristique que l’on retrouve dans tous les films de James Wan, sans exception. Je me rappelle par exemple de l’époque de Saw. Avant sa sortie, on pouvait voir un panel d’images toutes très différentes dans des magazines, de sorte que je me suis demandé comment elles pouvaient toutes s’intégrer dans le même film. C’est que déjà à cette époque, Wan avait le souci d’un imaginaire bondissant, d’une volonté de ne figer ni les codes ni les identités visuelles. Le récit de séquestration mutait ainsi en néo-Noir à la Seven, l’assassin avait plusieurs visages (un corps immobile, un masque de porc) et différents avatars (la petite poupée au tricycle ornée d’un motif en spirale, figure Wanienne récurrente s’il en est !) et le film arborait même différentes esthétiques (sur-montage hystérique des scènes de piège, sécheresse poisseuse dans la pièce de séquestration, tons de couleurs incandescents lors de la home invasion finale etc.).
Cette volonté de surprendre en plus d’effrayer ne s’est jamais démentie (et a même trouvé son point d’orgue dans Insidious), et ne semble pas prête à le faire à la vision de ce Conjuring : Les dossiers Warren (The Conjuring en VO). Nous évoquions plus haut une certaine gémellité entre les deux derniers films de Wan, que l’on comprend dès le résumé du dernier : une famille en proie à d’inquiétants phénomènes paranormaux dans une maison qu’elle vient d’investir, fait appel à un couple de professionnels du paranormal, qui va les aider à exorciser des démons qui ne se contentent pas de hanter les maisons mais préfèrent hanter les corps. Soit, grossomodo, le même pitch que celui d’Insidious. En ajoutant certaines récurrences (la manière de penser le cadre comme surface de recherche perpétuelle de menace, les outils utilisés par les démonologues pour capter la présence des entités maléfiques, etc.), on s’étonne même d’y trouver une telle proximité.
Or, là où Insidious était un peu bancal et oscillait entre séquences incroyables et scènes d’une platitude sans nom, Conjuring témoigne d’un effort de cohérence, de maîtrise globale et, partant, d’une atmosphère plus tenue. Et ce qui frappe immédiatement, c’est la beauté de certains plans. Notamment ceux tournés en extérieur, qui mettent en scène comme autant de motifs vivants la maison, l’arbre biscornu qui l’enserre littéralement par un jeu de perspectives (on est loin de la branche moribonde de l’assez nul Sinister) et le fantasmatique marais. Il s’agit certainement des plus beaux tournés par Wan, magnifiés par la photo de l’iconoclaste John R. Leonetti (The Woods de Lucky McKee, I Know Who Killed Me de Chris Sivertson, mais aussi… The Mask de Chuck Russell !), meilleur chef opérateur actuel lorsqu’il s’agit de peindre des noirs profonds prompts à exciter les fantasmes de monstres se terrant sous le lit ou dans les placards.
Par ailleurs, le choix de l’époque à laquelle se déroulent les événements (1971), si elle est dictée par les « faits réels » dont l’histoire s’inspire, marque évidemment l’esthétique du film (jusqu’au générique) et affirme définitivement la volonté de Wan de marcher sur les traces d’auteurs solides mais plus confidentiels des années 70. Ainsi, si les références à Hooper ou à Friedkin sont toujours extrêmement présentes, la tenue générale du film évoque davantage des œuvres moins connues qui constituaient aussi le paysage 70’s et début des 80’s du cinéma d’horreur. On pense ainsi à Let’s Scare Jessica To Death (d’ailleurs sorti… en 1971) de John D. Hancock, The Burning de Tony Maylan (1981) ou The Changeling de Peter Medak (1980).
Si Insidious organisait sa structure autour de séquences d’horreur pratiquement autonomes, The Conjuring travaille davantage sur la durée et la progression de l’horreur, pour le coup plus insidieuse ici. La montée en tension de la première partie du film, comportant de grands moments d’horreur suggestive (ces ténèbres que l’on scrute de peur de voir quelque chose en surgir, et qui scrutent les personnages tout autant !), en est ainsi l’une des grandes forces. Même si Wan n’évite pas quelques effets un peu répétitifs et que la première partie dans son ensemble aurait peut-être gagné à être raccourcie un peu, on est souvent surpris de la capacité – nouvelle pour James Wan – de nous installer durablement dans une horreur qui grandit, et contre laquelle on ne peut rien. Arrivent alors immanquablement les immenses moments de flippe pure que James Wan semble aujourd’hui l’un des seuls à être capable de provoquer (le récent Mama y parvient aussi, à de trop rares instants) : claquements de mains dans le noir avec une paire de mains inconnues qui se matérialisent au dernier moment en surgissant du noir, drap qui s’envole et épouse subitement la forme humaine d’un corps invisible jusqu’ici et qui finit par s’envoler (grand moment gothique), les intrusions en gros plan de visages hideux… Dans la première partie, certaines séquences sont dictées par l’une des excellentes idées du film : conserver le nombre de filles du couple dont s’inspire l’histoire (quatre !) et utiliser cette omniprésence enfantine pour brouiller les pistes entre manifestations humaines et surnaturelles. La caméra s’amuse à passer de chambre en chambre, de couloir en couloir, comme pour valider progressivement l’impossibilité des quatre fillettes à être responsables des bruits que l’on entend. Par ailleurs, si le film propose les plans les plus beaux qu’on ait pu voir chez James Wan, il témoigne aussi d’une propension nouvelle à tenter des mouvements de caméra plus techniques, et réfléchir à de nouvelles manières mécaniques de provoquer la terreur. Ce plan sous le lit à l’envers en est un bel exemple.
Si The Conjuring comporte donc son lot de fulgurances horrifiques et plastiques, il pêche (restons dans le lexique de la religion) en revanche par un scénario un peu brouillon, pas très passionnant et, surtout, empli jusqu’à l’os de bondieuseries plus que difficiles à avaler. Ce dont le film n’avait pas forcément besoin, et qui a tendance à alourdir un dernier acte par ailleurs un peu trop proche de films de possession récents (en found-footage par exemple) en plus de rejouer une version pâlotte de L’exorciste. Ce qui n’exclut pas toujours (c’est décidément l’une des pattes de James Wan) les bonnes idées (le visage possédé de Lili Taylor fait mouche par moments, notamment lorsqu’il s’extrait par petites touches du drap blanc qui le masque), et laisse beaucoup moins de séquences sur la touche qu’Insidious. On peut donc rester ravis qu’un tel cinéma fantastique existe aujourd’hui (et trouve le chemin des salles, ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous), et que James Wan commence même à trouver une cadence digne d’un renouveau du cinéma d’exploitation (Insidious 2 sort en octobre en France, tandis qu’une suite de Conjuring est déjà annoncée). Entretemps, James Wan réalisera… Fast and Furious 7 !