American Mary
American Mary (Canada – 2012)
Réalisation/Scénario : Jen Soska, Sylvia Soska
Interprétation : Katharine Isabelle, Antonio Cupo, Tristan Risk | voir le reste du casting
Mary (Katharine Isabelle) est une jeune et jolie étudiante en médecine, qui rêve de devenir chirurgienne et se heurte à des difficultés financières. Bien consciente qu’elle ne laisse pas les mâles alentours indifférents, elle décide de proposer ses charmes à un club de strip-tease, mais son « audition » prend une tournure surprenante lorsqu’elle est amenée à intervenir en tant que médecin dans le cadre d’une séance de torture… Cette expérience inattendue va déboucher sur la rencontre de Mary avec Beatress (Tristan Risk), une étrange femme qui va l’initier à l’univers de la chirurgie illégale et des modifications corporelles extrêmes. Se découvrant des talents certains, Mary devient rapidement une sommité de ce monde interlope. En parallèle, ses études tournent court lorsqu’elle accepte naïvement l’invitation de deux de ses professeurs chirurgiens à une soirée qui se révèle être une partie fine très ambiguë, au cours de laquelle Mary va être droguée et abusée par un homme. Sa vengeance sera évidemment très douloureuse pour ce dernier...
Dans la forme, le second film des sœurs Soska, trois ans après le micro budget Dead Hooker in a Trunk (remarqué par Eli Roth, devenu leur mentor), est plutôt de bonne facture. Shooté à la Red Epic, American Mary bénéficie d’une image léchée et d’une mise en scène maîtrisée malgré un budget relativement faible (au montant non dévoilé) et un tournage resserré sur 15 jours. La qualité première du long-métrage est incontestablement sa direction artistique très réussie. Les costumes et les décors sont superbes, et intelligemment mis en avant par un éclairage tout en clairs obscurs, jouant à la perfection de la capacité du numérique à rendre denses et lisibles des scènes de pénombre très contrastées – reflétant l’aspect marginal des lieux dans lesquels se déroule l’action. Les ruptures esthétiques entre ces mondes souterrains et l’univers néanmoins cloisonné mais très lumineux de l’hôpital sont la belle idée de mise en scène du film, qui bénéficie également de superbes effets spéciaux à l’ancienne. Les réalisatrices ont eu la bonne idée de se passer des CGI au profit de maquillages et autres prothèses du plus bel effet, accentuant une volonté de se rapprocher de l’esthétique des créations horrifiques des années 80.
Très désireuses de s’inscrire dans la continuité de ce cinéma marginal auquel elles vouent une admiration totale, les sœurs Soska multiplient les références à des auteurs cultes, dans les œuvres respectives desquels elles puisent leur inspiration. L’univers tout en faux-semblants glacés de l’appartement de luxe où l’héroïne est agressée nous ramène ainsi à l’adaptation du roman American Psycho par Mary Harron ; tandis que la tenue de chirurgie rouge portée par la jeune fille à la fin du film est une citation directe du Dead Ringers de leur compatriote David Cronenberg. Clin d’œil moins subtil, le nom du personnage Billy Barker fait bien évidemment référence au romancier et cinéaste britannique Clive Barker, dont l’influence de l’univers sulfureux plane sur le long-métrage. Mais si les sœurs Soska sont probablement de grandes fans de cinéma d’horreur, elles ne semblent pas avoir été capables de troquer la casquette de spectatrices pour celle d’auteurs à part entière. Cette tendance à la citation semble en effet exprimer une volonté d’hommage systématique révélateur d’un manque d’idées originales et de véritable personnalité cinématographique (l’apparition inopinée des soeurs lors d’une séquence sans intérêt est encore une fois représentative d’une envie très geek des réalisatrices en herbes de se mettre en scène comme des personnages de cinéma, du cinéma).
Par ailleurs, American Mary est un mélange indigeste de thématiques, qui semble n’avoir pour unique raison d’être qu’une supposée nature sulfureuse et tape-à-l’œil. Mais évidemment, il ne suffit pas de se plonger maladroitement dans des univers marginaux et croustillants pour réaliser une œuvre dérangeante et originale, et ce film en est bien la preuve. Ainsi, American Mary ne semble jamais trouver son ton, naviguant entre ironie tongue-in-cheek, drame tout ce qu’il y a de plus sérieux (on assiste tout de même à un viol très réaliste) et détachement clinique (le côté « patron » de Mary à la fin du film). De fait, on est un peu perdu. Le dernier tiers du film tourne à vide et lorsqu’il devient évident que tout ceci ne nous mène nulle part, on finit par ne plus vraiment s’intéresser à cette histoire. Au point que la conclusion tragique du film tombe complètement à plat et laisse le spectateur dubitatif. On peut d’autant plus regretter ce manque de maîtrise que les univers explorés sont plutôt intéressants et finalement assez peu vus au cinéma. Faire de Mary une étudiante en médecine fauchée et faisant face à d’importants choix éthiques était tout de même une très bonne idée de départ. Les différents univers, au demeurant très contrastés (le monde hospitalier, le club de strip-tease, l’univers des modifications corporelles), offraient de belles possibilités scénaristiques, qui ne seront jamais exploitées ici.
Au contraire, les sœurs Soska semblent bien décidées à nous montrer la séduisante Katharine Isabelle (révélée par la trilogie Ginger Snaps) dans des tenues toujours plus aguicheuses, et les nombreux prétextes scénaristiques menant à ces séquences (par ailleurs tout à fait inoffensives et finalement assez chastes) sont souvent carrément grotesques. Ainsi, Mary opère en porte-jarretelles dans la cave d’un strip-club, elle décide de porter une tenue de cuir pour rendre visite à ses patients/prisonniers, performe une danse lascive ou encore se verse une pleine coupe de sang frais sur la poitrine – ces deux derniers actes n’étant que les fantasmes illustrés de Billy, le patron du club de strip-tease. Il est par ailleurs inévitable de remettre en question la logique qui veut que Mary ne voie aucun problème à s’associer à cet homme, qui abuse ouvertement de ses employées, tandis qu’elle se venge brutalement de celui qui l’a maltraité. Dans ces circonstances, difficile de prendre American Mary pour un film féministe (ce que clament pourtant ses auteurs) : il est plutôt ici question de racolage maladroit et dénué de tout impact abrasif.
C’est dommage, car Katharine Isabelle démontre un véritable talent de comédienne. L’actrice canadienne fait en effet preuve de subtilité en construisant son personnage à travers un langage corporel original, exprimant l’indécision chronique de Mary. Sa démarche empruntée, ses gestes mal assurés et ses mimiques pince-sans-rire sont autant de signes extérieurs des errements de Mary, qui se lance sans réfléchir dans diverses entreprises et paraît ne jamais rien véritablement contrôler. Très ambiguë, elle apparaît comme dominatrice et en possession de son corps lorsqu’elle endosse un rôle (celui de chirurgien, celui de bombe sexuelle, celui de femme d’affaires), mais semble maladroite et mal dans sa peau lorsqu’elle redevient la jeune étudiante esseulée et anxieuse du début du film.
Bien emballé, le film est aussi très bien vendu : large tournée des festivals, soutient de poids en la personne d’Eli Roth, promo axée sur le mélange gore/sexy et l’attractive figure principale, trailer aguicheur… Autant de « qualités » qui ont permises au long-métrage de se forger une belle réputation (renforcée par les prix du meilleur film, de la meilleure actrice et de la meilleure réalisation dès sa première apparition au FrighFest londonien). Ce qui permettra probablement aux deux sœurs de réaliser un troisième projet prochainement ; c’est tout le mal qu’on leur souhaite. Une promotion réussie ne fait cependant pas un bon film, et à y regarder de plus près, force est de constater qu’American Mary ne propose pas grand-chose. Une nouvelle preuve qu’il n’y a pas de véritable bon film sans un équilibre subtil entre le fond et la forme. Pour American Mary il y avait la maîtrise technique, manquait le scénario.