Brawler
Brawler (USA – 2011)
Réalisation : Chris Sivertson
Scénario : Chris Sivertson, Nathan Grubbs
Interprétation : Marc Senter, Nathan Grubbs, Bryan Batt | voir le reste du casting
Dans son coin et dans l’indifférence quasi générale, Chris Sivertson continue de construire une œuvre atypique, un peu folle et sacrément courageuse. Après l’ego-trip western The Lost et le giallo branque I Know Who Killed Me, il récidive en ajoutant à son bagage un nouveau genre : le film de boxe, déplacé ici dans le milieu du free fight clandestin. Brawler raconte ainsi l’histoire de deux frères superstars d’un circuit de combats underground de la Nouvelle Orléans, qu’une fille va conduire à vouloir se battre l’un contre l’autre.
De ce récit somme toute assez convenu et très balisé (des codes du film de boxe post-Rocky, Sivertson conserve la moelle : rivalité fraternelle, autodestruction, montage sequences d’entraînement, combat final…), Sivertson tire un film à son image : imprévisible et iconoclaste. Ce qui frappe en premier lieu, pour qui a vu ses précédents efforts, c’est la retenue formelle de la première partie. Même si l’on trouve toujours un goût certain pour la rupture de rythme et un sens aigu du plan bizarrement composé, les échelles assez larges dictent une majeure partie de la mise en scène, de même que de longs plans fixes figent des situations dans lesquels les personnages s’engluent ou se perdent. Plus d’hystérie, plus de baroque, Brawler est un film chargé d’une sorte d’animalité rentrée et du parfum délétère de la Louisiane qui lui sert non pas de toile de fond, mais de condition esthétique (usage impressionnant du son et de la musique).
Si l’on peut craindre un moment la teneur assez convenue du récit (deux frères ennemis sur lesquels plane l’ombre d’un père qui les surpasse, le triangle amoureux…), on est rapidement soufflés par la beauté de certains plans. Exemple : Bobby, le frère incontrôlable et frimeur (toujours dingue Marc Senter), boit un verre au bar. Au fond du cadre, apparaît l’homme qui a cassé le genou de son frère il y a de ça quelques mois, et dont il veut se venger. L’homme au tee-shirt rouge passe et laisse place à une trace de lumière rouge s’extrayant de la porte qu’il vient d’ouvrir. L’empreinte colorée est figée pour Bobby, l’heure de la vengeance a sonné. Sivertson et ses monteurs s’en donnent à cœur joie également en jouant très souvent avec le fondu-enchaîné et la surimpression pour rendre une impression d’évanescence et de langueur qui trancheront avec le combat final.
Celui-ci est d’ailleurs nettement le tour de force du film, pour diverses raisons. D’abord, il va à l’encontre du système de représentation habituel de ce type de séquence, puisqu’il refuse l’idée de spectacle, de sensationnalisme, et même l’idée de vainqueur. Ce combat est terrible parce qu’on ne souhaite la défaite de personne, ce qui dénote clairement d’une très large tendance du cinéma américain. L’un se battant contre l’autre revient presque à une mise en scène autodestructrice d’un unique personnage se battant contre lui-même. Surtout, la séquence est pesante, incroyablement douloureuse, et se produit sur un petit ring entouré de mailles de tissu servant de cage au milieu d’un parterre de spectateurs noyés dans une masse noire. Ce qui donne à la scène un côté infernal qu’on croirait presque issu de la fin d’Apocalypse Now. Ajoutée à cela, une série de spectateurs grotesques observent la scène comme des vieillards Lynchéens avides de chair fraîche se débattant devant eux.
Le dernier plan, d’une subtile évidence, clôt avec douceur et optimisme un film expressément violent. Expressément parce qu’attaché à la mise en images de cette violence comme représentation de pulsions indicibles plutôt qu’en tant que pure illustration de violences factuelles. La violence dans Brawler est tout autant les coups de poing assenés à un visage en gros plan que l’hystérie générale régissant une idée insoutenable : deux frères en train de s’entretuer. Avec Brawler, Chris Sivertson parvient une fois de plus à surprendre et à impressionner. On est curieux de le voir boucler la boucle prochainement avec son comparse de toujours, Lucky McKee, à l’occasion du remake de leur premier long-métrage, All Cheerleaders Die.