Blue Ruin
Blue Ruin (USA – 2013)
Réalisation/Scénario : Jeremy Saulnier
Interprétation : Macon Blair, Devin Ratray, Amy Hargreaves | voir le reste du casting
Parmi les nombreux films de vengeance que l'on pouvait trouver en sélection de l'Étrange Festival cette année, Blue Ruin est certainement celui qui questionne le genre au mieux, et qui parvient avec grâce à en contourner la plupart des écueils. Nous suivons Dwight, clochard rouquin et hirsute vivant dans une vieille voiture déglinguée, à qui l'on apprend que l'assassin de ses parents a été libéré de prison. Il prend instantanément la route pour assouvir une vengeance qu'il couve depuis dix ans. Il réenclenche ainsi une spirale vengeresse qui réveillera différents secrets familiaux.
Du vigilante movie, Jeremy Saulnier conserve la trame et une certaine fétichisation du vengeur : sa voiture bleue déglinguée facilement identifiable, dont il garde les clés suspendues autour du cou... autant de détails qui forcent l'identité visuelle du personnage. Or, Saulnier ne tombe jamais dans l'héroïsation, pas plus qu'il ne fustige de manière classique un type dégueulasse évoluant dans un monde dégueulasse. La vengeance n'est jamais justifiée, elle est soit animale et inconséquente, soit mécanique et absurde. Elle n'est jamais approuvée par ce film qui s'intéresse d'ailleurs davantage à la fatalité qu'elle (et qui la) provoque, et aux conséquences plus physiques que morales qu'elle provoque. Jeremy Saulnier attache d'ailleurs une grande importance à figer la violence afin qu'on ne puisse pas penser qu'à travers le filtre de la fiction et du spectacle, personne ne l'éprouve. Lorsque Dwight est blessé à la jambe par une flèche, il souffre. Longtemps. Et l'extraction de cette flèche ne se fera pas facilement. Quand une balle atteint un visage, elle le déchire. Aucun geste n'est anodin, chaque coup provoque une douleur. Sans pour autant verser dans le naturalisme (il y a parfois une certaine distance notamment dans l'utilisation de l'humour), Blue Ruin tient à ne pas banaliser la violence, ou en tout cas lui donne un poids.
L'une des belles idées du film consiste à faire de la vengeance un geste désespéré, comme une ultime dépense d'énergie plus vraiment raisonnée. Lorsque Dwight se trouve devant la tombe de l'assassin, il est démuni. Il boit verre d'eau sur verre d'eau et va pisser sur la pierre, ne trouvant rien d'autre à faire. Au début du film, la vengeance relève davantage de l'irrémédiable que du geste volontaire. La batterie neuve qui sommeillait dans la vieille voiture depuis trop longtemps à l'arrêt est prête à être branchée, un bidon d'essence dort également dans le coffre, prêt à l'emploi. Les plans qui montrent son départ sont composés en fonction d'une orientation unique, obligatoire. Une seule route à emprunter, ou bien un chemin comportant déjà des traces de pneus, comme un chemin déjà tracé que Dwight n'a désormais plus qu'à suivre, les yeux fermés. La fatalité est accompagnée d'une série de ratés communicationnels : les cartes postales ne sont pas reçues à temps, les coups de téléphone sont mensongers, on laisse des messages pour personne, on écoute ceux qui ne nous sont pas destinés ou on en laisse un à l'usage d'un destinataire qui se trouve dans la même pièce... autant d'exemples qui appuient l'idée que, derrière la fatalité et le déroulement mécanique des choses, se cachent surtout des défauts d'appréciation et une (ab)surdité généralisée.
En plus de l'étude de cas et l'exploration à la fois intérieure et observatrice du cheminement de Dwight, Blue Ruin parvient à jouer sur plusieurs niveaux de lecture. Il livre ainsi, en creux, une critique du port d'arme et plus généralement de la législation des armes et du meurtre dans certains états (ici, la Virginie). Sans tomber dans l'écueil du film « à sujet », ni dans la facilité d'un cinéma épuré et calibré pour Sundance, Blue Ruin est un beau film de vengeance contre la vengeance, une sorte de complément de programme parfait au Gran Torino d'Eastwood.