Wrong Cops (USA – 2013)

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Voici déjà quatre long-métrages que Quentin Dupieux travaille sa petite recette personnelle mêlant non-sens, grotesque et fascination pour une poignée de clichés américains. Le tout intégré dans un système clôt qui, par refus d’extériorité, volonté d’aller contre les logiques (réalistes, scénaristiques, génériques), peut volontairement placer le spectateur dans des abîmes de perplexité. Après une parodie méta-caoutchouteuse du film de serial-killer (le beau Rubber) et une chronique absurde des suburbs américaines (le fatigant Wrong), Dupieux s’attaque avec Wrong Cops au film – ou plutôt à la série télé – policière. On y suit, dans un Los Angeles déshumanisé et ensoleillé, une poignée de personnages débridés, dont les wrong cops en question : un dealer d’herbe braillard et agressif (Mark Burnham), un flic au sombre passé trouvant un trésor dans son jardin (Steve Little), un autre flic aspirant DJ, plus ou moins noir et borgne (Eric Judor), un pervers se servant de son uniforme pour abuser les jeunes femmes qu’il interpelle (Eric Wareheim)…

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A la vision de Wrong Cops, on peut considérer que, si l’absurde règne toujours, le non-sens est plus timide et, surtout, la succession de saynètes est plus classiquement articulée que dans les précédents films de Dupieux. Ce qui s’explique assez simplement par le fait que le film constitue une réplique difforme et aliénée de show télévisé, entre polar et soap-opera. Ce qui induit des arcs qui, pour être souvent d’une idiotie affirmée, sont malgré tout suivis. La quête de succès musical d’Eric Judor, le triangle de flics impliqués dans un chantage crapuleux… autant de lignes narratives que Dupieux mèle les unes aux autres, dans une logique toute sérielle. Ce qui lui permet évidemment de faire éclater cette logique (apparition d’un douteux magazine gay, rencontres improbables de passants agressés par les flics, meurtres que personne ne veut élucider…) ou d’y infiltrer des aberrations (un cadavre récalcitrant traverse tout le film, on se suicide d’un coup de truelle dans la gorge, etc.). Pour autant, c’est certainement le film de Dupieux qui constitue un ensemble le plus cohérent et resserré. Plutôt que d’éclater son récit en tous sens, il préfère plutôt sonder les dérèglements qui progressivement le gouvernent.

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A ce titre, l’une des plus belles idées du film se cache dans son utilisation de la musique. Elle y est omniprésente, tout le monde écoute un son aux teintes et sonorités identiques, quel que soit leur genre (en gros, toutes les radios de la ville diffusent… du Mr Oizo). Ce qui agrémente l’isolement esthétique de cette ville, tout en agrémentant certaines situations de contrepoints troublants. Exemple : Eric Judor fait écouter à Mark Burnham le morceau qu’il vient de composer, sorte d’électro minimaliste et répétitive. A juste titre, malgré la fierté apparente du DJ en herbe, l’autre lui dit clairement qu’il a fait de la merde. On entendra ce morceau plusieurs fois par la suite, et il ne sera jamais tout à fait le même, comme si la situation faisait opérer un dérèglement à une musique pourtant déjà enregistrée. A plusieurs moments, elle se fait même extradiégétique pour rythmer une séquence (alors qu’elle ne rythmait rien du tout lorsqu’elle sortait d’un ordinateur. Avec cette idée, Dupieux cherche à démontrer qu’un même morceau, aussi mauvais soit-il, peut aller dans le sens du film (constituer un élément de son paysage, une couleur qui le définit) et aider l’ensemble à tenir. Il peut aussi, dans un contexte différent, créer une rupture avec l’univers du film, se mettre en porte-à-faux par le simple fait qu’un personnage ne l’y intègre pas, en le dénigrant. Le même morceau employé de deux manières différentes (avec quelques différences d’arrangement et de mixage, d’ailleurs) crée une rupture comique dans un cas, enrobe logiquement l’action dans l’autre. Parfaite représentation d’un monde clôt qui ne fait que se dérégler perpétuellement.

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Wrong Cops est également, peut-être, le film le plus drôle de Quentin Dupieux, que ce soit dans les situations ou dans les dialogues. Au non-sens total de certains gags de ses précédents films succède parfois un humour plus direct et limpide (« Ça n’arrive qu’aux tocards. Celui-ci trouve un sac rempli de billets dans son jardin. Tandis qu’un type comme moi, s’il creuse dans le sien trouvera quoi, au mieux, une patate. »), ou un décalage parodique plus évident. Ainsi Marilyn Manson, du haut de ses 45 ans, campe un ado à peine pubère qui écoute de la « musique cool » et se fait presque agresser sexuellement par le flic dealer. Les références sont également plus explicites : on retrouve, dans deux séquences distinctes (une au début, une à la fin), Grace Zabriskie et Ray Wise, les deux parents de Laura Palmer dans Twin Peaks. Le jeu des principaux flics et certaines situations évoquent clairement, quant à elles, le Supergrave de Greg Mottola. L’hystérie inconséquente, le gros flic qui se délecte en appelant David Dolores Frank comme Seth Rogen adorait hurler McLovin…

Ce que Quentin Dupieux perd en étrangeté totale, il le gagne nettement en drôlerie et s’autorise par la même occasion le brossage plus en profondeur d’un ton et d’un univers qui se cherchaient jusqu’ici. Après le pétard mouillé, sans mèche et sans poudre à l’intérieur, que constituait Wrong, on retrouve le cinéaste avec un style plus délimité et en même temps plus complet. On se prend d’ailleurs à penser, à la fin de Wrong Cops, que le film aurait pu s’étirer indéfiniment.

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