Snowpiercer (Corée du Sud, USA – 2013)

Réalisation : Bong Joon Ho

Scénario : Bong Joon Ho, , d'après la bande-dessinée de Jacques Lob, Benjamin Legrand et Jean-Marc Rochette

Interprétation :   | voir le reste du casting

 

Avec une poignée de films seulement, Bong Joon Ho a progressivement acquis les faveurs de différents publics qui ne se rencontrent pas toujours. Sans trop retomber dans l’écueil de l’Auteur et du Genre, on constate que le réalisateur coréen a su conquérir à la fois les spectateurs amateurs de cinéma de genre, ou de cinéma coréen, et d’autres qui n’en sont pas forcément familiers. C’est que, sans se prêter à l’exercice hautain du film de genre « au-dessus » du genre, Joon Ho a surtout un ton et un style singuliers, et s’empare à la fois des codes que le genre réclame, tout en mettant ce dernier au service d’un questionnement politique ou social, en même temps qu’il développe avec acuité les rapports entre les personnages et explore leurs failles, leurs dérèglements.

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Cette volonté de faire un cinéma à la fois exigeant et populaire, divertissant et profond, en un mot d’un cinéma complet (dans un sens fédérateur), rend assez peu étonnant le succès dont il bénéficie aujourd’hui et corrélativement le fait qu’il se retrouve à la tête de l’un des plus gros budgets du cinéma coréen de tous temps : le déjà célèbre Snowpiercer, adaptation très libre de la bande dessinée de Lob et Rochette, Le transperceneige. Ce projet, malgré tout iconoclaste, bénéficie par ailleurs d’une équipe internationale, d’un grand nombre d’effets spéciaux, bref, il s’agit bel et bien d’un blockbuster. Un ensemble de choses qui rend forcément fébrile.

Les grandes qualités du film, tout autant que ses limites, résident dans le fait qu’au fond, on pouvait s’attendre à ce qu’on allait voir : de la SF à la fois grand public et intelligente, à la mise en scène calibrée pour les multiplexes mais d’une grâce dont on sait le réalisateur capable. Un équilibre qui n’impressionne plus vraiment grand-monde de la génération des Spider Man de Sam Raimi, mais qui parvient à surprendre tout de même. L’idée d’une grande forme offerte à tous mais respectueuse de chacun, pas seulement prompte à respecter à la lettre les horizons d’attente des uns et des autres. Tout l’enjeu de Snowpiercer réside dans cet équilibre, entre grand divertissement populaire et exigence de la forme, entre une multiplicité des niveaux de lecture et limpidité du récit. Et on constate dès la première séquence que l’exercice est réussi, largement.

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Le récit conserve le point de départ de la BD : dans un futur proche, une expérience visant à contrer le réchauffement climatique échoue, et le monde connaît une nouvelle ère glaciaire. Les quelques survivants se retrouvent tous dans un long train faisant le tour du monde en un an sans jamais s’arrêter, alimenté par une machine fonctionnant selon le principe du mouvement perpétuel. Le train est, semble-t-il naturellement, réparti en wagons correspondant aux différentes classes sociales, du wagon de queue au wagon de tête. Ce dernier est occupé par le mystérieux Wilford, concepteur du train et autoproclamée entité divine et libératrice pour ses passagers. A l’exception, bien sûr, du dernier wagon, qui prépare silencieusement une insurrection et le périple compliqué qui les conduira au wagon de tête.

Le film est pensé comme un serial au fil duquel de multiples personnages traversent – ou apparaissent – de wagons en wagons, chacun d’entre eux correspondant à un épisode distinct du film. Snowpiercer révèle donc d’emblée un caractère très jouissif, grâce à une évolution par palier, niveau après niveau. Mais l’intelligence du film réside surtout dans sa capacité à jouer perpétuellement du mélange, de la multiplicité. Une vaste galerie de personnages, étirée sur une vaste ligne tonale (du sérieux Chris Evans à la burlesque Tilda Swinton) qui permet d’accepter d’emblée les multiples registres que campera le film. Ainsi dès le départ, une certaine hétérogénéité admise comme fondamentale nous fait accepter par la suite les multiples décrochages de tons, de décors et de situations. On passe ainsi du Tiers-Wagon (terme transparent de la BD qui n’a pas été conservé dans le film) à différentes salles des machines en passant par un wagon salle de classe, un autre réservé à la botanique, etc. Les décors changent, de même que les situations qui s’enchaînent sans se ressembler. Une séquence chantée se mue en gunfight, une accalmie dans un aquarium géant succède à une scène de combat totalement « post-apocalyptique » où les personnages se battent contre une armée de gros bras cagoulés et armés d’une hache…

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Mais surtout, la richesse des niveaux de lecture et des points d’ancrage protéiformes à des événements réels est impressionnante, d’autant qu’elle joue parfois sur la simultanéité. Dès la première séquence se lit de manière plus ou moins flagrante le désastre capitaliste, la surpopulation, la crise du logement, le nazisme… Les motifs visuels ont parfois une portée équivalente lorsqu’on passe d’une scène de combat observée (par les tortionnaires, forcément, les autres étant dans le noir) en night watch vert qui évoque les images réelles que l’on connaît bien de bombardements nocturnes, à immédiatement une insurrection populaire d’hommes déguenillés, la torche à la main. Pour autant, jamais Bong Joon Ho n’œuvre à fabriquer un pensum new-age (on est loin de Matrix), pas plus qu’il n’accumule les références précises et univoques. Le transperceneige, dans sa configuration et sa taille trop restreinte pour accueillir tout un monde, en est une fidèle variation comprimée, un subtil croquis.

A certains moments en revanche, la grosse machine qu’est Snowpiercer laisse échapper quelques conventions du spectacle familial, d’assez mauvais ton par rapport à la finesse de l’ensemble : un certain sentimentalisme affleure ici ou là, le dernier plan n’est pas la meilleure idée qui soit, et si la représentation de la violence paraît moins timorée qu’amputée. Il semble carrément manquer des plans à certaines séquences un peu brutales. Ce qui n’est pas un procès d’intention horrifique de notre part, mais une impression de trous dans certaines scènes. Néanmoins, ces détails ne parviennent pas à gâcher ce très beau Snowpiercer, qui constitue l’air de rien ce que le cinéma de SF grand public nous propose de meilleur depuis un long moment.

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