Why Don't You Play In Hell ?
Réalisation/Scénario : SONO Sion
Interprétation : Hiroki Hasegawa, Gen Hoshino, Akihiro Kitamura | voir le reste du casting
Avec son dernier film, le réalisateur de Suicide Club et Guilty of Romance étonne à plus d’un titre. Projeté à l’Etrange Festival cette année en même temps que Bad Film (film inachevé de 1996, qui vient finalement de l’être), Why Don’t You Play In Hell ? s’avère en être un compagnon idéal. Le film réinvestit pleinement, dans un territoire totalement fictionnel (une comédie d’action hystérique), le mouvement Tokyo GAGAGA. Un groupe de gamins excités dévore Tokyo avec une caméra Super 8, avides d’actions à filmer. Evidemment, ils trouvent ce qu’ils cherchent dans les petites rixes de gangs de différents quartiers dont ils extraient leur future star, leur « prochain Bruce Lee ». En parallèle, la femme d’un yakuza se retrouve en prison après avoir sauvagement exterminé ceux d’une bande rivale qui voulaient abattre son mari. Elle le laisse avec une fillette persuadée qu’elle est promise à un avenir de star du cinéma. Dix ans plus tard, les gamins devenus grands n’ont pas bougé d’un pouce. L’acteur est devenu un Bruce Lee boudeur faute d’insuccès, tandis que le réalisateur a conservé un enthousiasme délirant en dépit de la situation. En parallèle, la femme du yakuza voit sa sortie de prison approcher et souhaite, à son retour, voir sa fille être réellement devenue une superstar. Son mari va tout faire pour exhausser son souhait.
De cette trame emberlificotée, SONO livre un très étonnant cocktail de comédie, de kung-fu et de chambara, en tissant progressivement une mise en abyme qui ramène très fortement vers le Bad Film tourné en 1996 mais achevé à peine l’an dernier. Il transforme en fiction pure la gestuelle de son mouvement Tokyo GAGAGA, comme un manifeste après coup, transformé par sa carrière de cinéaste et sa volonté absolue de ne pas être devenu un « adulte ennuyeux », comme le dit le personnage du jeune cinéaste lui-même, hanté par la perspective de l’apathie qui serait pour lui le véritable échec. Dans sa mission forcenée de parvenir à réaliser un bon film, ne serait-ce qu’un seul, se lit surtout une impossibilité chronique de baisser les bras, de renier l’absolu qui le guide depuis le départ et qui dépasse littéralement ce qu’il considère comme des petites querelles sans importance. Pour lui, une bagarre entre bandes rivales et une lutte sanglante de yakuzas revient à la même chose : le bouillonnement futile d’un monde qui s’autodétruit par manque d’idéal. Dans Bad Film, SONO s’intéressait davantage au fatras urbain que générait sa troupe d’acteurs/performers qu’à la lutte qu’il mettait en fiction. Ici, c’est la même chose. Les combats sanglants doivent servir un spectacle intense, une raison d’être pour lui. La mort n’a pas la moindre importance, pour peu qu’il ait pu la graver sur du 35mm.
L’existence n’est qu’absolue. On est toujours plus vivant le crâne fendu d’une épée en poursuivant la fille dont on est amoureux depuis toujours, qu’en refusant l’idée de l’approcher. Ce yakuza dégénéré au sourire délirant, amoureux lui aussi de la jeune actrice depuis qu’elle est enfant, acquiert une certaine sympathie étrange par sa passion débordante. Le réalisateur, tout au long d’une belle séquence de drague interposée, expose longuement à une fille séduite ce qu’il considère comme la plus belle manière de filmer une scène d’amour. Alors qu’elle prend ça pour une avance, lui refuse de concrétiser leur idylle en préférant fantasmée cette scène parfaite qui ne correspond pas aux circonstances présentes. Fixer l’absolu est l’une des thématiques fortes de Why Don’t You Play In Hell ?, que l’on retrouve à tous les niveaux. Au début du film, la fillette pousse les portes de son salon. Elle met alors les pieds dans une mare de sang qui recouvre l’intégralité du sol de la pièce, dérape glisse sur les fesses, au milieu du sang, jusqu’aux hommes tués par sa mère. Les portes s’envolent à son passage. Cette scène magnifique, doublée en fin de film, souligne l’adéquation entre puissance des événements et de leurs conséquences émotionnelles sur une fillette et puissance de leur représentation. Comme les ballons de peinture rose éclatant du désir étrange et inconnu de la femme au foyer dans Guilty of Romance, ce fantastique sol de sang met l’image à la hauteur du drame. Tout au long du combat final, on se fiche de savoir qui meurt ou qui survit, seule compte l’extraordinaire vivacité de l’instant de leur mort ou de leur résurrection. Le cadreur meurt l’œil sur son objectif (petit clin d’œil, le cadreur se prénomme Tanigawa, comme le chef opérateur et cadreur de SONO, Sohei Tanigawa), ce qui rend fou de joie son réalisateur. La mort ou la vie comme états définitifs n’intéressent pas SONO Sion, on le sait depuis Suicide Club ou Cold Fish. L’un comme l’autre n’ont aucun sens et se valent s’il n’y a pas instantanéité sublime à un moment.
Le choix de la comédie pour enrober cette histoire relève du même geste. Hystériser les situations, les rendre cinématographiques, parce qu’elles ne seront capitales qu’à partir du moment où elles seront dignes d’être regardées. Si l’on rit beaucoup dans Why Don’t You Play In Hell ?, c’est qu’aucune situation sublime ne mérite qu’on la pleure. Tout geste pensé ou formé dans une idée d’absolu de ce geste n’en fera jamais qu’un geste positif, hilarant. Ce n’est plus le rire en contrepoints de Love Exposure ou le rire désespéré de Hazard, c’est la posture hilarante de tout acte produit pour la beauté de celui-ci.