Borgman (Hollande – 2013)

Réalisation/scénario : 

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Dans un trou vivait un Borgman. Etrange personnage filiforme et barbu, il dort dans une petite planque sous terre, dans une forêt. Tandis qu’une petite expédition punitive (menée par un prêtre !) semble le prendre pour objet, il s’évade agilement non sans avoir appelé sur leur téléphone portable des copains à lui qui ne lui répondent pas. Il va donc les déterrer pour leur demander de fuir sans attendre. Visiblement, on en veut sévèrement à ces hommes vivant dans des trous. Notre bon Borgman se promène alors dans les quartiers riches et sonne aux portes en demandant le plus simplement du monde la possibilité de prendre une douche. Les premiers l’ignorent, les seconds refusent mais l’insistance de Borgman provoque une bagarre et ce dernier se retrouve roué de coups par un mari colérique, sous les yeux horrifiés de sa femme. Borgman reviendra à la charge et trouvera divers moyens pour s’insinuer dans cette famille. Pourquoi exactement cette famille ? On n’en sait rien.

Le film intrigue au début par une étrangeté suspendue, un refus tout en douceur de surligner ce qui se passe, ou d’en expliciter les motivations. Progressivement, cette étrangeté se mue en un fantastique diffus, ni trop évident ni trop purement symbolique. Comme la famille qu’il investit, on accepte Borgman et ses drôles d’amis qui semblent appartenir au même froissement du monde que lui. On les accepte comme on observerait un bête curieuse dont les motivations nous intéressent moins que leur manière de se déplacer, de se comporter. Avec un regard suspicieux, mais surtout intrigué. On suit alors une variation surréaliste des films d’infiltration domestique (Théorème, La servante…) où la dimension sexuelle est moins forte que le regard porté sur la bourgeoisie ordinaire, misanthrope et raciste.

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L’originale cruauté de Borgman réside dans le fait que son personnage intrusif agit non seulement comme un révélateur des horreurs cachées de cette famille, mais qu’il les absorbe et les provoque. Il n’est pas spectateur et révélateur uniquement, il devient acteur du dérèglement, il tire les situations vers leur éclosion, rend manifeste la cruauté latente. Lorsque le mari le rue de coups à l’entrée de sa maison (pour qu’il n’entre pas dans leur bulle à la fois matérielle et humaine), il rend concret ce dont il était capable sans l’avoir probablement jamais réalisé. Borgman et ses amis impassibles prennent alors possession d’une famille qu’ils vampirisent en faisant des adeptes de leur groupuscule qui ne dira jamais son nom. En projetant face à la famille ce qu’elle est réellement, ils recueillent des adeptes parmi les enfants, en leur racontant des contes et en leur faisant boire une étrange potion rouge.

Le refus d’un symbolisme univoque n’exclut les multiples dimensions interprétatives du film. La plus évidente étant évidemment le caractère diabolique de ce Borgman, accompagné de sa bande d’anges déchus (interprétation que valide la citation biblique mise en exergue du film) et de ses chiens de l’enfer qui se promènent autour de lui et à qui il parle en leur donnant des ordres. Ce diable, non content d’avoir déjà à disposition sa horde de démons, cherche clairement chez les humains ceux qui pourraient joindre ses rangs, et extermine les autres. La fillette angéliquement blonde deviendra ainsi une enfant du diable, issue directement du village des damnés.

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Mais, ce faisant, Alex van Warmerdam évite plusieurs écueils. Le premier étant celui du fantastique pur, où la lecture satanique serait la seule viable. De nombreux décalages se produisent dès lors qu’on s’installe trop confortablement dans cette lecture. Les émissaires de Borgman qui, très humainement, lui reprochent de ne pas les prendre en stop. Ils regardent la voiture s’avancer et le traitent de connard. Plus tard, la mère de famille ne sait plus sur quel pied danser et, lorsqu’elle croise l’un des chiens de Borgman, se met à lui parler en lui demandant s’il n’est pas Borgman lui-même. Instant très drôle où Borgman surgit subitement derrière elle en lui demandant à qui elle parle. Idem pour la jeune nourrice des enfants, séduite par l’un des accompagnateurs de Borgman qui l’attire vers elle. Or, plutôt que de jouer la séduction maléfique se concrétisant par une relation sexuelle, celui-ci refuse ses avances, les trouve étranges, et semble ne rien comprendre de l’idée de sexe. L’autre écueil qu’évite le film est celui de la comédie de mœurs, qui pointe le bout de son nez le temps d’une séquence de repas critique qui laisse craindre un enfoncement du film dans ce sens, une dérivation Chabrolienne des drames bourgeois qui éclatent au grand jour. Fort heureusement, Borgman prend la tangente très rapidement.

Le film est ainsi parcouru de légers glissements de ce genre qui, en plus de rendre la narration instable, participe d’une impression de folie ambiante. Ce qu’agrémente une belle photo qui évite le piège du naturalisme clinique, avec de belles lumières à la fin du film, alors que le drame arrive à son apogée. Les éclairs zébrant le ciel tandis que les tapis rouges flambants sont rappelés par le rouge des verres de vin empoisonnés comptent parmi les images qui resteront de ce Borgman. Ce qui n’est déjà pas rien.

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