Haunter
Haunter (Canada – 2013)
Réalisation : Vincenzo Natali
Scénario : Brian King, Matthew Brian King
Interprétation : Abigail Breslin, Sarah Manninen, David Hewlett | voir le reste du casting
Pour la première fois, Vincenzo Natali quitte sa science-fiction quasi-natale pour livrer sa variation à lui du thème de la maison hantée. Il s’approprie ainsi les codes d’un fantastique classique décidément bien à la mode en ces temps de retombée du torture-porn et de l’errance du found-footage. Ceci étant dit, il faut bien avouer qu’au vu de l’affiche et du résumé du film, il y a de quoi avoir peur de ce Haunter. Lisa, jeune ado mal dans ses pompes tente d’ouvrir les yeux de sa famille qui semble ne pas connaître un détail important de leur existence depuis une vingtaine d’années : ils sont tous morts et vivent éternellement une seule et unique journée, qu’on comprend être celle qui précéda le drame. Lisa quitte peu à peu sa solitude en parvenant, progressivement, à prendre contact avec les vivants qui habitent désormais la maison, par l’entremise d’une fille de son âge. Le tout sera rehaussé d’une sombre histoire de meurtres en série.
Après les déplacements récemment opérés par James Wan (les personnages sont hantés à la place des maisons), c’est une inversion de la ghost story classique que propose ici le réalisateur de Cube et Splice. Plutôt que de raconter l’invasion d’une maison par les fantômes qui la hantent, Haunter fait l’inverse. Mais, plutôt que d’inverser un postulat pour le traiter de manière identique (les vivants hantent les morts, ce qui ne change rien), Natali a deux belles idées. Premièrement, il adopte une structure répétitive, puisque la même journée est vécue sans cesse par Lisa et sa famille. La mise en scène, au cordeau durant toute la première partie, propose ainsi de multiples variations autour de la même série de séquences, qui mutent lentement à coups de petits changements progressifs. Ceux-ci étant induits à la fois par des événements nouveaux dans la narration, et par des compléments d’informations jusqu’alors mises en ellipses. La deuxième bonne idée, celle qui légitime à elle seule l’existence de ce Haunter, est bien la manière dont les événements fantastiques surviennent. Plutôt que de présenter classiquement l’invasion de la maison par ses agresseurs, il préfère opérer une série de glissements d’une strate de réalité à une autre, se contaminant mutuellement. Ce qui donne lieu à de très beaux moments de passage et de surimpressions narratives qui rejoignent finalement le final d’Insidious, lorsque le père voyage dans une sorte de négatif infernal de sa propre maison. Haunter hisse cette idée à la hauteur d’un film, et en profite pour varier sa lumière et son filmage en fonction de la strate temporelle dans laquelle glisse Lisa. La majeure partie du film évolue dans une ambiante ocre et peu lumineuse évoquant les films de maison hantée correspondant à l’époque où les personnages sont bloqués, soit au beau milieu des années 80 (Ouija de Kevin Tenney, 1986 ; The Changeling de Peter Medak, 1981). Lorsqu’on passe au présent, la lumière est plus vive et le tournage en numérique donne naturellement une teinte contemporaine. Pour les années 50, les images sont vieillies, comme si les événements eux-mêmes subissaient les assauts du temps, tout en étant encore capables de se manifester.
L’intérêt de Haunter réside ainsi dans une série d’idées visuelles qui parviennent à gratter le vernis du classicisme pour proposer des choses finalement assez inédites. Il n’est malheureusement pas à chercher du côté d’un scénario sans grand intérêt, quittant progressivement sa dimension – intéressante – de Jour sans fin version maison hantée, pour regagner les terres plus ternes du récit de serial-killer plutôt convenu. Et ce, malgré l’intéressant personnage de Stephen McHattie, promenant sa figure inquiétante dans tous les milieux, à toutes les époques. On regrette un peu, surtout, le refus de Natali de creuser le sillon de son histoire d’adolescence troublée. Pourquoi, par exemple, ne pas approfondir cette belle idée de jeune fille captive de son quotidien morose, qui ne fait rien d’autre que de vivre éternellement la même journée enfermée dans sa chambre, et rêve progressivement de voir son univers glisser dans un ordre, et devenir une autre fille ? Si cette dimension est présente, elle s’évapore trop rapidement dans les nécessités narratives d’un récit dont, très vite, on attend bêtement le dénouement.
Reste un rapprochement troublant : le dernier plan, sortie ouverte lumineuse, et la structure en blocs imbriqués les uns dans les autres qu’il s’agit de traverser pour trouver une sortie, en font une relecture en forme de film de fantôme de… Cube, premier film de Natali. Une boucle est bouclée ?