Darkness (USA – 2002)

Réalisation : Jaume Balagueró

Scénario : Jaume BalagueróFernando de Felipe

Interprétation :  voir le reste du casting

 

En 2002 Jaume Balaguero posait, à peu près en même temps qu'Alejandro Amenabar, les jalons de ce qui fut moins un genre véritable qu'une vague un peu opportuniste, surnommée sans grande fantaisie le "fantastique espagnol". Pierre angulaire de cette série de films, Darkness est un peu oublié aujourd'hui, tout comme on oublie l'influence qu'il a pu avoir sur un film comme Mama, d'Andrés Muschietti, ou Martyrs de Pascal Laugier (il n'y a qu'à comparer les deux génériques de début). Pourtant, malgré un scénario à la fois trop circulaire et élliptique et un manque fréquent de suite dans les idées, le film joue souvent de belle manière avec la circulation de la ténébreuse menace, au gré d'un montage parfois bien senti et d'une astucieuse propagation invisible du Mal.

Une famille emménage dans une grande maison dont le terrible passé semble refaire surface, se terrant dans toutes les zones noires de la maison. Le petit garçon de cette famille en est le premier témoin, lors d'une séquence qui survient juste après une crise d'angoisse de son père - visiblement pas la première, et pas la plus violente. Cette séquence montre comment, une fois dans sa chambre, le garçon est envahi d'une terreur qui rebondit sur tous les objets qui composent son entourage.

Tout d'abord, on passe de la télévision que regarde sa grande soeur à la chambre du garçon, au gré d'un double champ-contrechamp qui donne l'impression que l'image est diffusée aussi à l'usage du petit garçon, quand bien même il n'y a aucune télévision dans sa chambre. Sur l'écran, des images d'éclipse et de Lune, avènement prophétique des ténèbres et figure de mort et de figement pour le pauvre enfant.

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Le champ-contrechamp est trompeur si l'on suppose que la télé est vecteur de regard direct entre la grande soeur et le télé, puis entre la télé et le garçon. Il est efficient si l'on considère que, sans avoir besoin du regard, le contrechamp de l'éclipse n'est pas l'enfant mais l'écran qui se trouve à côté de lui: cet écran de ténèbres qui se dessine sous son lit. Les ténèbres communiquent bien avec les ténèbres.

D'ailleurs, les ténèbres regardent aussi le garçon, et dressent leurs tentacules vers lui.

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Tranquillement, l'enfant dessine, jusqu'à ce qu'un phénomène le perturbe dans sa tâche.

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Les ténèbres aspirent le crayon du petit garçon, désormais bien obligé de s'y confronter. Il baisse la tête, et regarde l'espace noir sous son lit. La caméra placée sous le lit indique plutôt que les ténèbres le regardent.

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Maintenant qu'on sait qu'elles le regardent, un contrechamp peut valider le dialogue entre eux et, nous faisant basculer à nouveau du côté du garçon, la terreur est de notre côté aussi puisqu'on ne sait pas ce qui peut surgir de cette antichambre des terreurs enfantines (et même adultes, ce que Balaguero explorera dix ans plus tard dans Malveillance) que constitue le sombre dessous d'un lit.

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Soudain, un grincement terrible se fait entendre mais il ne provient pas du trou noir devant l'enfant. Derrière lui, se tient son père, surgissant d'un espace de ténèbres qu'il n'avait pas vu venir : celui qui se trouve dans l'embrasure de sa porte. Et la menace n'est pas un élément fantastique, un Innommable caché dans un environnement propice à toutes les éventualités. Elle se matérialise simplement sous la forme de... son père.

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Le père, figé dans une posture à la fois douce et menaçante, demande à son fils ce qu'il fait. Ce dernier répond simplement, sur le ton de l'évidence, qu'il dessine. Le père braque son regard sur un petit mobile en forme de carroussel, posé sur une étagère. Il s'en approche, le prend et constate, à haute voix, que l'enfant a arrêté de jouer avec. Cette manière insidieuse de commenter le temps qui passe et le mouvement des choses déclenche chez l'enfant une question plus que directe : "est-ce que tu vas mourir?"

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Le père s'accroupit, assure à son fils qu'il n'est pas sur le point de mourir, et l'encourage à aller se coucher. Mutique, ce dernier obéit et s'assied dans son lit, figé. Son regard suggère clairement qu'il aimerait que son père entende la terreur qui l'habite sans avoir à le lui dire, mais reste sans effet. L'adulte s'éloigne et disparaît à nouveau dans les ténèbres qui l'ont fait naître. Cette apparition succincte n'a pas rassuré l'enfant et, pire, l'a conforté dans son idée de fuite et de disparition des choses (la Lune pendant l'éclipse, le crayon disparu sous le lit, le jouet qui ne l'intéresse plus, l'existence fragile...).

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Le garçon n'a plus qu'une requête avant de voir disparaître son père : qu'il n'éteigne pas la lumière. Mais ce dernier ne veut rien entendre et l'éteint malgré tout, incitant implicitement son fils à arrêter de se comporter en enfant.

Désormais, les ténèbres ne se situent plus de part et d'autre du garçon, mais l'enserrent totalement. Son père a déplacé son angoisse, et désormais il n'a plus peur de ce qui se passe sous le lit (après tout, la chambre dans son intégralité est dans le noir, le dessous du lit n'est plus le coeur des ténèbres) mais focalise sa terreur sur un objet qui se détache toujours des ténèbres et dont l'immobilisme est désormais anormal : le jouet.

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Un crépitement se fait entendre, puis l'objet s'anime magiquement, les cheveux en bois se mettent à tourner et la petite mélodie du mobile déroule ses notes.

L'enfant terrorrisé regarde le mobile tandis que le mouvement crée d'immenses ombres impossibles qui le balayent, comme autant de traces ténébreuses qui rempent sur lui comme elles rempaient sous le lit.

La séquence s'achève, comme elle avait commencé, sur une éclipse. La Lune étant devenue le visage du garçon, disparaissant dans les ténèbres.

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