The Battery
The Battery (USA – 2012)
Réalisation/Scénario : Jeremy Gardner
Interprétation : Jeremy Gardner, Adam Cronheim, Niels Bolle | voir le reste du casting
Drôle de petit film que ce The Battery concocté par le polyvalent Jeremy Gardner. Ce premier long-métrage était présenté comme une variation du thème rebattu de l’apocalypse zombis tendance buddy-movie, le tout servi par une approche esthétique bricolée dans la lignée du très réussi Bellflower, film justement primé lors de la première édition du PIFFF. Le zombi flick ayant été pillé jusqu’à l’indigestion, cette énième incursion en territoire mort-vivant n’était pas forcément des plus enthousiasmantes, et représentait de fait un pari risqué. Jeremy Gardner y a plongé tête (et barbe) baissée, embarquant son pote Adam Cronheim dans un road trip à travers les épaisses forêts de la Nouvelle-Angleterre, en quête de reconnaissance et de quelques figurants volontaires pour se faire exploser la cervelle.
La première bonne idée du scénariste/cinéaste est de situer le récit de longs mois après la contamination de la population, d’évacuer complètement les enjeux relatifs aux causes de ces événements et d’introduire un couple de personnages dont la relation est déjà bien établie. On parlera ici de couple plus que de duo tant la paire formée par Jeremy Gardner et Adam Cronheim vit en symbiose dans cet environnement inhospitalier. Promiscuité d'autant plus subie par deux personnages aux tempéraments diamétralement opposés. Le titre du film, assez intraduisible en français, apparaît ici comme un symbole : « the battery » c’est la salve au base-ball, la paire formée par le lanceur et le receveur, deux facettes opposées et néanmoins profondément liées dans la formation offensive d’une équipe, un peu à la manière d’une batterie d’artillerie. Cette image prend toute sa résonance lorsque l’on comprend la dynamique de la relation entre les deux personnages, faite d’un soutien mutuel constant et d’une complémentarité singulière. Par ailleurs, présenter ces deux jeunes trentenaires bedonnants et patauds comme des joueurs de base-ball professionnels est en soit assez déroutant. Incarnant des archétypes physiques à l’opposé du sportif de haut niveau, les deux compères apparaissent comme des inadaptés chroniques, en marge d’une société dont ils font désormais partie des derniers représentants. Ils seront d’ailleurs rejetés par l’ensemble des survivants qu’ils croiseront sur leur route, l’apocalypse ne leur ayant décidément pas permis de trouver leur place. Cet artifice scénariste introduit également une approche par l’absurde qui va irriguer le film. Puisque plus rien n’est pertinent en dehors du principe de survie, l’existence des personnages n’est plus qu’une errance sans destination ni objectif, qui vide de sens toute action banale et rend immédiatement trivial tout sentiment d’attachement ou de romantisme. Cela ne sera pas sans poser problème au personnage incarné par Adam Cronheim, grand dadais lunaire qui arpente la campagne infestée de zombis, ses écouteurs vissés sur les oreilles. À l’inverse, l’alter-ego filmique du cinéaste est un grand barbu cynique qui approche tout événement avec pragmatisme et efficacité, l’esprit entièrement tendu vers sa propre survie ainsi que celle de son fragile compagnon d’infortune. Il apparaît ainsi que chacun des personnages permet à l’autre de ne pas sombrer dans le renoncement, le premier incarnant un refus de perdre l’espoir d’un monde meilleur, quand le second incarne un désir furieux de vivre, quitte à ce que cette survie devienne l’unique moteur de l’existence.
Finalement, on ne verra que très peu de morts-vivants. Et lorsque ces derniers apparaissent, c’est souvent comme détonateurs d’une situation cocasse et inattendue (dans certaines situations, l’esthétique do-it-yourself du film impose des situations hilarantes qui rappellent la diversité des besoins humains). Par ailleurs, le duo fonctionne selon un principe de déplacement perpétuel, et le fait de se barricader dans un lieu est perçu comme un danger à éviter à tout prix (comme une leçon tirée de la grande tradition des films de zombis, la trilogie de Romero en tête de liste). Il n’est plus ici question de trouver à tout prix un refuge mais plutôt d’éviter de se laisser piéger au milieu d’une marée de morts-vivants, ce qui apparaît finalement comme une idée assez réaliste. Abandonnant presque entièrement les effets spectaculaires et l’action (la dernière scène du film est une illustration réussie de ce rejet de l’action au profit de l’impact psychologique d’une situation anxiogène), le cinéaste remet au premier plan des enjeux narratifs les gestes du quotidien et les besoins primaires de ses personnages, besoins physiques mais aussi intérieurs. À ce titre, l’utilisation constante de musique, systématiquement entendue à travers les écouteurs, introduit une belle idée à la fois terre-à-terre et poétique : dans un monde dévasté, écouter de la musique devient une quête aussi incertaine que de se nourrir ou éviter de se faire tuer. Adam Cronheim se ballade ainsi avec un baladeur compact disc daté, un sac rempli de piles et ramasse les CD qu’il trouve sur son passage. À l’époque de l’orgie musicale du net, ce rappel du caractère précieux de l’objet musical à quelque chose de plaisant.
La dynamique du buddy-movie est l’une des grandes réussites de The Battery. Jeremy Gardner et Adam Cronheim incarnent des personnages qui rappellent inévitablement les trentenaires largués adoubés par la comédie américaine actuelle, et en particulier par l’écurie Apatow. On retrouve ici ces physiques imparfaits, cette impression de grands garçons encombrés de leur propre corps et restés bloqués dans le monde de l’adolescence. Ce rejet du monde adulte prend un sens nouveau lorsque ce dernier n’est plus qu’une coquille vide, et finalement c’est peut-être ce que Jeremy Gardner nous raconte dans son film : le sentiment de solitude de l’inadapté face à un monde exigeant, sans imagination et hostile. Ses personnages n’en sont évidemment que plus attachants, et la bienveillance du cinéaste à leur égard permet au film de s’extraire de l’écueil du cynisme et de la bonne blague qui tâche (un risque qui plane toujours au-dessus de ce type de film ouvertement post-moderne et hyper référencé). En effet, l’autre grande qualité de The Battery est son équilibre fragile entre comédie et drame véritable, baignant le film dans une ambiance indécise, chaque nouvelle séquence apportant son lot d’incertitudes. Une approche illustrée par la patience de la mise en scène de Jeremy Gardner qui n’hésite pas à faire s’étirer ses scènes et ses plans afin de créer un climat d’appréhension perpétuelle. Une idée de mise en scène efficace, très adaptée aux moyens limités du cinéaste (le film a été tourné pour 6 000 dollars), et bien illustrée par la toute première séquence du film, qui introduit déjà cette idée d’une trivialité des situations d’attente et de changements de rythme inattendus. Une partition cinématographique tout à fait raccord avec la situation des personnages, qui passent leur temps à attendre qu’un événement essentiel se produise, perpétuellement tendus entre ennui apathique et surgissement d’un danger mortel. L’enjeu n’est plus alors seulement d’opposer suffisamment de force physique face aux morts-vivants, mais bien plus encore de rester constamment en veille face à la menace.
The Battery apparaît finalement comme un film de genre très intelligent, se servant d’une figure horrifique classique comme catalyseur d’une histoire originale dont les enjeux s’éloignent du fantastique pour toucher à des thèmes universels comme la solitude, la foi en l’avenir et le besoin d’exister à plusieurs. Ballade solaire à la mise en scène maîtrisée, servie par deux interprètes excellents et un scénario riche en idées inattendues, ce premier long-métrage signe l’acte de naissance d’un nouveau talent polyvalent (rappelons que Jérémy Gardner est également producteur et monteur du film). En piochant dans la grammaire de genres aussi codés que la comédie, le film d’horreur ou encore le buddy-movie, le cinéaste accouche d’un film singulier qui démontre une nouvelle fois qu’un projet ne saurait être réduit à son pitch, et qu’une mise en scène inspirée peut venir à bout de la résistance du spectateur face à une thématique surexploitée. Sans crier au chef d’œuvre, on peut tout de même déclarer sans trop se mouiller que The Battery est un fier représentant de ce que le meilleur du cinéma de genre peut offrir quand il est réalisé avec trois bouts de ficelle et beaucoup d’intelligence.