Aux yeux des vivants (France – 2014)

Scénario/Réalisation : 

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Ce qu'on ne pourra pas reprocher à Alexandre Bustillo et Julien Maury, c'est bien une volonté de renouveler leur  fantastique. En à peine trois films, le duo français aura tâté du gore hystérique (A l'intérieur), du conte fantastique classique aux influences italiennes (Livide) et joue désormais la carte de la fugue horrifique enfantine post-Stephen King. Cette diversité est également lisible dans les films eux-mêmes. On se rappelle de manière symptomatique du zombie arrivant de nulle part dans A l'intérieur. Ce qui donne à leur cinéma, depuis le début, un côté foutraque, extrêmement référencé, parfois enthousiasmant (certaines séquences, très belles, de Livide) mais le plus souvent étouffé par un scénario maladroit qui peine à faire tenir leur armature bancale.

Aux yeux des vivants marque une amélioration certaine dans la caractérisation visuelle. Des plateaux de cinéma désaffectés à l'antre du boogeyman, de la « maison à la baby-sitter » finement brossée aux extérieurs ruraux, la direction artistique est surprenante, et parvient à rendre une France hors du monde et hors du temps, vampirisée par un fort imaginaire américain (difficile de ne pas penser notamment aux Goonies, lorsque les enfants découvrent un vieux décor de bateau en friche). L'école au début du film en est un bon exemple, puisqu'elle semble à la fois contemporaine (la cantine) et ancestrale (la surveillante d'une sévérité d'un autre âge). Les dialogues oscillent, plus maladroitement, entre langage moderne et vocabulaire plus singulier. On est loin tout de même de la langue si particulière des lycéens du Brick de Rian Johnson.

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Là où le film ne marque pas d'évolution flagrante avec les précédents efforts de ses deux auteurs, c'est dans sa narration brouillonne et la digestion difficile de ses influences. C'est tout à l'honneur de Bustillo et Maury d'essayer de secouer leur film pratiquement à chaque séquence pour l'amener ailleurs, et l'on s'étonne souvent de la bonne tenue visuelle de la plupart de leurs tentatives, aussi variées soient-elles. Le problème réside surtout dans leur difficulté à transcender leurs influences. Comme autant de couleurs non diluées sur leur palette, on reconnaît très facilement la touche Stand By Me, puis la touche Rob Zombie, la touche Halloween, et ne parlons même pas de la touche inaugurale... A l'intérieur. Ils ne ratent pas toujours leur cible, et certaines séquences se montrent bien construites (la course-poursuite dans le studio de cinéma désaffecté) voire assez effrayantes (mention spéciale à la « créature » longiligne, qui apparaît tel un fantôme espagnol dans les coins du cadre ou les arrière-plans, se cache sous les lits, se glisse dans les chatières et attaque d'une manière bien singulière, faite d'étranges et amples coups de poing).

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Hélas, leur force momentanée se dilue dans un récit trop problématique. L'idée du retour de traumatisme était brillante. Les enfants voient ce qu'ils n'auraient jamais dû voir, et rentrent chez eux. Le soir, le même soir, en même temps, ils se font attaquer par une créature plus ou moins invisible qui investit chaque fantasme enfantin : pour le fils battu, la créature se charge du père. Pour le timide binoclard, elle tue la baby-sitter en la dénudant. L'idée était belle mais se heurte à un changement de point de vue à la moitié du film, puisqu'on passe des enfants aux adultes, d'un propos à l'autre, sans crier gare. De beaux indices sont aussi franchement écartés. Quelle relation existe exactement entre le jeune Victor et son père, qu'il décrit comme un ivrogne et qui se présente in fine sous les traits d'un pur fantasme paternel ? Cette relation trouble n'est qu'à peine esquissée, et on ne comprend pas vraiment le parallèle que le film crée avec l'autre duo père-fils du film, celui de l'ombre.

Bustillo et Maury, contrairement à une majorité de nos « cinéastes de genre francophones » (suivez mon regard) ont la bonne idée de ne pas alourdir leur film d'un propos trop lourd pour lui, balayé d'un traitement à la truelle. L'histoire qu'ils racontent est simple, et s'inscrit dans une démarche d'épouvante pure. En témoignent les – encore trop encombrants – emprunts à Jaume Balaguero ou James Wan. Néanmoins, on se prend à rêver, pour l'avenir, à un cinéma plus dégraissé à l'expression plus personnelle, qui rende justice aux ambitions visuelles réelles des réalisateurs, pour que s'envole enfin leur étrange et assez beau petit musée des horreurs.

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