Tom à la ferme (Canada – 2013) 

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Le quatrième film de Xavier Dolan repose sur une très belle idée : la création, dans la configuration d'un survival, d'un espace restreint qui contient, et qui engouffre, les multiples formes de déni, de mensonge, d'insincérité et d'inconstance qui valent comme autant de menaces à l'égard de notre pur et fidèle héros, Tom. Ce dernier quitte Montréal pour la campagne, où il rend visite à la famille de son petit ami récemment décédé, Guillaume. Il se rendra vite compte que personne ne le connaissait et, surtout, que la petite famille se complait dans la vision fantasmée – orchestrée par le frère – de la vie sentimentale du défunt.

Tom à la ferme est un titre trompeur, et la tromperie continue malicieusement au début du film. Le citadin fait claquer ses boots sur le gravier qui enserre la ferme, gravier qui rend difficile l'avancée de sa valise à roulette conçue pour le béton uniforme des villes. Quand il arrive, il évoque le personnage principal de La nuit des vers géants qui va bien devoir se heurter à l'incommodité des locaux, et surtout à l'animosité que ceux-ci entretiennent vis-à-vis de tout ce qui vient de la ville. « Tom à la ferme », comme « Martine à la plage », n'est qu'un épisode de son existence sans lien de causalité avec celui d'avant, ou celui d'après. Ce n'est qu'un épisode. Il va devoir traire les vaches, donner naissance à un veau. Mais au fond ça n'a pas d'importance, il finira par rejoindre sa vie « normale ».

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Le film emprunte toutefois un virage d'intention puisque le clivage véritable n'est pas un clivage géopolitique ou social, et il ne s'agit plus de confronter le citadin au campagnard dès lors que la relation entre Tom et le frère de Guillaume mêle ces « types » et déplace l'opposition. La maison dans laquelle Tom a atterri se révèle à ses yeux à travers le regard des voisins de la famille, de ceux qui la connaissent depuis toujours. Le comportement étrange de la mère, la menace à la fois violente et érotique que constitue pour lui le frère de Guillaume, Tom l'accepte finalement très bien, et revient faiblement à la réalité par l'entremise de « témoins » qui servent une dialectique type de cinéma de genre : un médecin lui demande s'il sait dans quelle famille il est tombé. S'il le sait vraiment. Un taxi dépose une jeune fille au bout du chemin de la maison, refusant d'aller plus loin dans cette direction. Un barman dévoile, mystérieusement, les raisons pour lesquelles il n'accepte pas la famille dans son établissement...

Ces stéréotypes du survival n'opposent pas la ville à la campagne, ils opposent le rapport au monde de Tom à celui de cette famille. Celle-ci, sur un mode quasi-symbolique, incarne physiquement les dimensions du mensonge qui peuvent régir une existence. Elle habite la maison du voile, de l'aveuglement, de la manipulation de la vérité. Tom, lorsqu'il accepte fatalement, faiblement de vivre avec eux dans cette maison, perd sa propre incarnation, perd ce qui le rendait vivant dans l'autre monde : la vérité, par l'entremise d'un amour non masqué. Les masques de cette famille, lointaine petite cousine de la famille de Leatherface, ne sont pas constitués de peau humaine, ils sont fabriqués de mensonge et de déni. La mère fantasme une petite amie à son fils, en occultant son homosexualité. Lorsque Tom arrive, elle en fait un substitut à son fils mort. Le frère de Guillaume entretient le mensonge pour masquer, probablement, sa propre ambivalence.

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Tom, et le film n'en fait pas obligatoirement une qualité, n'est pas quelqu'un d'ambivalent. Il est au contraire d'une univocité et d'une fidélité qui se heurte fatalement aux jaillissements équivoques qu'il se prend parfois en plein visage : l'infidélité probable de Guillaume, la violence de son frère, etc. Lorsqu'il donne naissance à un veau, du sang lui macule les mains et il s'agit d'un rapport à la réalité qu'il n'avait jamais ne serait-ce qu'imaginé. Mais, de la même manière que son amour pour Guillaume était unique, simple et sans aspérités, son attachement à ce nouvel environnement se fait naturellement. Asseyant la logique théâtrale du matériau de base, une idée berce le film, le ponctue : Tom est un personnage immobile, qui est incapable de partir. Sa pureté est aussi sa faiblesse, et lorsqu'il a la possibilité (répétée plusieurs fois dans le film) de s'enfuir, soit il revient soit il n'essaie même pas.

Ces belles intentions se heurtent malheureusement à un figement du film lui-même, qui délaisse trop rapidement le trouble et l'ambivalence dans lesquels il aurait pu s'enliser tortueusement pour rester sur les terres plus confortables du thriller en demi-teinte, à la fois opaque et en même temps jouant sur les révélations (cette idée idiote du jeune homme défiguré), le tout saupoudré d'un vaudeville un peu malvenu, aux glissements dans le grotesque pas assez assumés : la séquence de tango ne conduit nulle part, elle n'est qu'un petit relief accidentel et poussif comme le sont les resserrements de cadre poseurs lorsqu'une tension s'installe entre Tom et le frère de Guillaume. In fine, Dolan semble essayer de nous dire quelque chose sur l'Amérique, mais on ne comprend pas bien quoi...

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