Réalisation: David Cronenberg

Scénario: George Langelaan, David Cronenberg

Casting: Jeff Goldblum, Geena Davis, voir le reste du casting

Toujours la même histoire sur le LSD, vous l'avez tous entendu :« Un jeune homme sous acide pensait qu'il pouvait voler, il a sauté d'un immeuble. Quelle tragédie. Quel gland, oui ! On l'emmerde, c'était un crétin. S'il pensait qu'il pouvait voler, pourquoi il a pas chercher à décoller du sol d'abord ?

Bill Hicks

La Mouche de David Cronenberg sort en 1986, trois ans après le chef d'œuvre du réalisateur, Videodrome. La Mouche est un remake d'un petit classique du cinéma horrifique, que David Cronenberg métamorphose en y injectant sa très personnelle réflexion sur l'avenir de la chair. Seth Brundle, un scientifique maladroit qui vit reclus dans son atelier, mène des expérimentations visant à téléporter des corps d'un point à un autre. Sa vie va prendre un tour tragique quand, se téléportant lui-même, il va accidentellement fusionner avec une banale petite mouche noire entrée dans la machine.

la-mouche-1986

Aux premiers instants de sa transformation, Seth n'est pas spécialement effrayé par les changements qui s'opèrent en son corps. Pour tout dire, il trouve tout cela formidable : ses sens sont aiguisés, son corps est plus puissant, et il peut baiser pendant des heures. Comme il le dit, les yeux exorbités, à sa compagne Veronica, il a l'impression que son expérience l'a purifié... qu'il a ingéré une drogue n'ayant que des aspects positifs. Il n'a qu'une seule envie, la partager avec la jeune femme. Celle-ci, effrayée, refuse d'entrer dans le téléporteur. Qu'importe, Seth part à la recherche d'une autre compagne, faisant la tournée des bars louches, torse nu sous son blouson noir, avec le regard d'un faon pris dans des phares. L'ancien Seth, timide et complexé, est bien loin...

Si on a beaucoup mis l'accent sur le versant tragique de La Mouche, la manière dont il traite de l'impossibilité d'une relation de couple fusionnelle, il est aussi autorisé de voir le film comme une longue blague déviante sur les effets néfastes de l'acide lysergique. L'instant fatidique ne se produit d'ailleurs que parce que Brundle se trouve dans un état second, ayant un peu trop picolé avant de se décider à entrer dans le téléporteur. Seth Brundle fait ainsi beaucoup penser à Timothy Leary, dans sa propension à vouloir imposer sa découverte au reste de l'humanité. Dans Videodrome le professeur O'Blivion se référait à Marshall McLuhan, qui en expert des médias avait refilé son slogan à Leary « Turn in, tune on, drop out »... Brundle, lui, est bien plus distant de son modèle. C'est, disons, un cousin éloigné du renégat d'Harvard, mais ne nous y trompons pas. L'idée même d'une fusion d'un homme avec une mouche, si on y réfléchit, sonne bien comme une divagation de défoncé : « Ouuuh j'ai l'impression de pouvoir voir à travers les yeux de la mouche... que la mouche voit à travers mes yeux... La mouche et moi nous ne sommes plus qu'un seul et même être... une mouche humaine ! » à ce point, normalement, le personnage devrait d'ailleurs mettre un album des Cramps sur la platine, plutôt que s'escrimer à jouer du Beethoven – mais Seth Brundle, comme Cronenberg, ne se départit que rarement de sa pose d'intellectuel froid.

Quand le corps de Seth commence à se transformer en une sorte d'abcès géant évoquant vaguement un insecte déplumé, on peut dire sans trop se tromper que le bon délire se transforme en gros bad trip. Comme le dit Cronenberg : « J'ai pris du LSD une fois dans les sixties, quand c'était toujours légal [...] Ça m'a montré à quel point la réalité était fragile. On est si enfermé dans une version spécifique de la réalité que nous venons à la penser comme un absolu. Et les drogues vous font savoir, sans équivoque, qu'il existe plusieurs alternatives à la réalité » et l'alternative vécue par Brundle est aussi originale que peu plaisante. Il perd ses ongles, ses dents, ses oreilles, son visage se déforme lentement, son corps se gonfle de pue, sa peau prend la couleur incertaine du vieux cuir d'un canapé défoncé. Il passe par des moments de doute dignes de John Lennon, avouant à Veronica, quand son état devient vraiment trop inquiétant : « the dream is over ». La référence n'est pas anodine, Lennon étant passé de Come Together – écrite pour une campagne politique de Leary – au terrible constat de God :

I don't believe in Beatles
I just believe in me...and that's reality
The dream is over
What can I say?
the Dream is Over
Yesterday
I was the Dreamweaver
But now I'm reborn
I was the Walrus
But now I'm John

Oui, les glorieuses sixties sont terminées, pour tout le monde et pour Cronenberg en particulier – La Mouche est un film des cyniques eighties, personnifiées par le terrifiant psychopathe corporate Stathis Boran. Dans une scène très drôle, Boran, le grand rival de Seth dans la conquête du cœur de Veronica, regarde d'ailleurs une cassette vidéo de Seth en se demandant ce que la jolie jeune fille peut bien trouver à un freak pareil. Le rêve est terminé, l'heure est à la barbe bien taillée et aux costumes sur mesure. John Lennon pouvait bien se prendre pour un morse, Seth Brundle pour une « mouche de 90 kilos », tout ça c'est des conneries... il n'y a qu'une seule réalité pour les Boran de ce monde. Ils ne croient qu'en eux-mêmes, et c'est ça la réalité. Donc, Tim, Seth, le rêve est terminé.

timothy leary

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