Maps To The Stars
Maps To The Stars (Canada, USA – 2014)
Réalisation : David Cronenberg
Scénario : Bruce Wagner
Interprétation : Robert Pattinson, Carrie Fisher, Julianne Moore | voir le reste du casting
Au milieu du film, à peu près au moment où les choses basculent, un barillet est vidé. Les six balles tombent au sol, rendant le flingue inoffensif. Quelques coups sont tirés, mais évidemment à chaque fois la gâchette claque dans le vide et rien ne se passe. Pourtant, une tension s'installe sur le modèle – pourtant irrationnel ici – de la roulette russe. Puis un coup part, une balle impossible s'étant soudainement placée dans l'arme.
La jeune Agatha, adolescente aux longs gants de cuir noir et au visage à moitié brûlé, a la même valeur dans Hollywood que cette balle dans son barillet. Un élément en trop, rejeté il y a longtemps et pourtant encore là, impossible rémanence dont la présence dans cet environnement ne pourra qu'être destructrice.
Parce qu'Agatha est un virus implanté dans la cité des anges. Un virus qui se déclare aujourd'hui mais que les lieux ont non seulement contracté, mais surtout engendré il y a des années. S'il y a virus il y a forcément organisme, et Hollywood est précisément, ici, un organisme dont chacun de ses occupants serait un organe. Le réseau que le film tisse entre les personnages rend cet état des choses à différents niveaux. Les liens du sang, en premier lieu. Mais aussi la trame narrative qui tisse progressivement de nombreux liens entre les uns et les autres, comme une toile d'araignée brodée devant nous. Mais l'impression la plus forte d'un organisme géant composé de ses différents occupants provient de l'entrelacement de leurs existences, des similarités entre eux et de la manière dont ils partagent leurs cauchemars. Durant la première moitié du film – celle qui fonctionne le mieux parce que la brume qui couvre ce microcosme n'est pas encore dissipée – un étrange réseau se construit. Un personnage parle de son psy. La séquence suivante est une séance de psychanalyse, mais avec un autre personnage. Une actrice vieillissant tente de rejouer le rôle qui fit la gloire de sa jeune mère. De manière générale, on trouve de nombreuses correspondances, échos et recoupements dans la personnalité et les événements vécus par les personnages. Ils vont jusqu'à se partager leurs cauchemars, chaque conscience appartenant à une conscience globale : Hollywood.
Enfin, c'est un organisme qui se régénère naturellement : les acteurs sont remplaçables, les membres d'une même famille se reproduisent, et l'histoire se répète. Même si, comme l'annoncent les quelques plans d'un espace déserté que surplombe le fameux panneau « Hollywood », ce monde est voué à mourir.
Ce petit monde sur le déclin, symbolisé dans le générique de fin par ce réseau d'étoiles mourantes, souffre malgré tout de graves problèmes qui sont d'ailleurs davantage ceux du film que les siens. La deuxième partie, qui réorganise une trame jusqu'ici plus nébuleuse, perd en mystère ce qu'elle gagne en lourdeur. Les explications autour de l'inceste, les situations de dérèglement à peine exploitées (l'idée du révolver est brillante, mais se solde par le meurtre un peu ridicule d'un chien), et des séquences tristement poreuses (les gamins dans le club au détour d'une séquence qui pourrait se trouver dans The Bling Ring, la banquette arrière de la limousine qui ne sert qu'à ressusciter platement le souvenir de Cosmopolis, etc.) empêchent Maps To The Stars de convaincre totalement. De même que la lourdeur de certains dialogues, explicatifs à outrance (lourdaude symbolique du feu et de l'eau), ou la répétition un brin ridicule du Liberté d'Eluard en voix off.
Surtout, le film rate dans l'ensemble l'une de ses plus belles idées : faire de la plupart de ses personnages une entité horrifique hantant un Hollywood désincarné qui rappelle parfois le L.A. déserté du récent The Canyons. De manière transparente, on rencontre successivement des fantômes, vampires, succubes et autres enfants maléfiques, qui dressent toutefois en demi-teinte un portrait fantastique d'Hollywood comme cour des miracles. La faute à des apparitions trop ternes et à un manque, justement d'impact horrifique (là où un film comme Mulholland Drive parvenait à faire vraiment peur).
A ce titre, l'idée de laideur et de destruction de la beauté est traitée de manière trop timorée. Le visage battu à mort à la fin du film aurait pu être détruit sous nos yeux, le corps à moitié brûlé d'Agatha n'est jamais exploré, et on doit se contenter à la place d'un discours simpliste sur les surfaces et ce qu'elles recouvrent (Julianne Moore aux toilettes, Mia Wasikowska tâchant un canapé blanc et chic avec ses menstruations...), avec de belles idées tout de même sur la transparence (maison à la fois exposée pour un magazine et exposée au monde par la transparence de ses murs de verre). La défiguration d'Hollywood se fait plus inquiétante lorsqu'elle s'exprime à travers le visage vieilli de Carrie Fisher, princesse Léia déchue servant désormais de passerelle entre Agatha et ce monde qui l'a rejetée et qu'elle cherche désormais à réinvestir pour l'empoisonner.