The Curse of Downers Grove (USA – 2014)

Réalisation : 

Scénario : Bret Easton EllisDerick Martini d'après un roman de Michael Hornburg

Interprétation :  | voir le reste du casting

 

Bret Easton Ellis fut, à une époque qui semble désormais quelque peu lointaine, le génial auteur de bestsellers comme Moins que zéro, Les lois de l’attraction ou encore Glamorama. Pourtant, depuis Lunar Park (2005), Ellis semble avoir perdu la flamme. Entre une adaptation très moyenne de son roman The Informers en 2008 et la parution récente d’une suite en demi-teinte de son premier succès, l’auteur ne nous avait plus offert grand-chose à se mettre sous la dent. Son retour manqué aux côtés de Paul Shrader avec The Canyons – film raté malgré quelques très bonnes idées – avait par ailleurs laissé un arrière-goût d’inachevé, une déception inévitable lorsque l’on compare le scénario à la truelle du film avec les narrations tentaculaires des romans du maître. Pour The Curse of Downers Grove, adapté d’un livre de Michael Hornburg, Ellis s’associe cette fois avec le cinéaste Derick Martini pour accoucher d’un thriller adolescent sur fond de malédiction lycéenne. Une fois n’est pas coutume, il s’éloigne de l’univers de la bourgeoisie californienne, délaissant les privilégiés oisifs vénérés par l’industrie du divertissement (partis étaler leurs disfonctionnements chez David Cronenberg) pour la classe moyenne et l’Amérique des petites villes et des banlieues résidentielles.

De même que pour The Canyons, il y avait dans l’histoire de The Curse of Downers Grove des éléments chers à l’auteur – telles la fascination pour les images lisses renvoyées par une Amérique éternellement jeune et belle, sous la surface de laquelle se révèlent des gouffres de perversion et de violence – et qui ne demandaient qu’à être détournés et magnifiés par la créativité dont il a tant de fois fait la preuve. Il y a également une volonté affichée de rendre hommage à un certain cinéma des années 80, celui du slasher inauguré avec Halloween et porté par des figures féminines volontaires et émancipées, n’hésitant pas à proposer une réponse musclée aux agressions dont elles font les frais. Douces, mais prêtes à en découdre. C’était la belle idée du film et on peut regretter qu’elle ne soit jamais véritablement exploitée. La faute à un personnage principal trop grossièrement écrit et surtout à des seconds rôles sacrifiés. La capacité d’Ellis à utiliser les archétypes de la fiction américaine (l’éphèbe blond un peu simple, le psychopathe refoulé, la jeune fille vertueuse) comme des canevas modulables, portant en creux une constellation de dérèglements tous plus aberrants les uns que les autres, semble ici s’être complètement évaporée au profit d’une caractérisation au rabais des personnages. Première victime collatérale de cet cette subite évaporation de la distance pouvant exister entre l’auteur et son matériel, le tristement insipide « méchant » du récit, très lointaine réminiscence du sociopathe Patrick Bateman, adulé le jour et prédateur la nuit. De fait, The Curse of Downers Grove semble exister comme par défaut, entreprise vaine et cruellement dénuée de second degré (l’humour, lorsqu’il survient au détour d’une scène, semble complètement involontaire).

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Présenté au Marché du Film, The Curse of Downers Grove est desservi par une mise en scène peu inspirée, qui menace dangereusement de sombrer dans le nanar lorsque le réalisateur nous inflige de ridicules flashs censés insuffler un vent de surnaturel dans une histoire finalement tout ce qu’il y a de plus terre à terre. Et alors qu’ils semblent désirer jouer avec le genre dans une tentative maladroite de post-modernisme, les auteurs du film plongent dans une suite de clichés, entre romance adolescente et explosions de violence désagréablement complaisante. A l’interrogation morale proposée par le retournement du rapport de force entre le bad guy et la jeune fille en fleur, Martini et Ellis répondent par une conclusion totalement déconnectée des enjeux du récit. Un twist final qui consterne plus qu’il ne surprend, et sert de caution à un argument surnaturel complètement sous-exploité. Déjà, le scénario de The Canyons flirtait beaucoup avec celui d’un mauvais téléfilm de seconde partie de soirée, les « zombies » d’Ellis semblaient y avoir perdu la substance surnaturelle qui donnait à l’unique recueil de nouvelles de l’auteur son caractère singulier. Reste que les personnages du film de Paul Shrader étaient encore profondément ancrés dans l’univers de Bret Easton Ellis. Avec The Curse of Downers Grove, l’auteur s’égare bien loin de son univers personnel, et n’est même pas sauvé par la présence à ses côtés d’un vrai cinéaste. En fin de compte, personne ne semble vraiment être aux manettes de ce film écrit en duo, désormais condamné à errer dans les limbes du cinéma d'exploitation, au fond d'un bac DVD ou d'une plateforme de téléchargement.

Quoi que l’on pense de Bret Easton Ellis, il est tout de même malheureux de voir un auteur aussi talentueux se perdre dans les profondeurs de la production horrifique de seconde zone. Cette succession de rendez-vous manqués atteint un nouveau point critique avec The Curse of Downers Grove, un film qui ne sera probablement vu que par un nombre très limité de spectateurs. Bret Easton Ellis est donc devenu, c’est cette fois une confirmation, un scénariste de cinéma très médiocre, tandis que son œuvre continue d’influencer des cinéastes de premier plan comme David Cronenberg et Gregg Araki, comme on a encore pu le constater cette année à Cannes. Reste à espérer que le néo scénariste parviendra à se sortir de cette mauvaise passe et à transformer ses fulgurances littéraires en solide récit pensé pour le grand écran. En attendant, on peut toujours relire ses six premiers romans et se demander pourquoi une équipe de télévision filme l’équipe de cinéma qui filme Victor Ward, prince des ténèbres au royaume de l’image fantasmée, du fantasme des images.

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