Lost River
Lost River (USA – 2014)
Réalisation/Scénario : Ryan Gosling
Interprétation : Saoirse Ronan, Christina Hendricks, Eva Mendes | voir le reste du casting
Avec Drive, Nicolas Winding Refn a fait de Ryan Gosling la nouvelle coqueluche d’un cinéma indépendant bankable. Pour son premier film en tant que réalisateur, l’acteur canadien a décidé de tourner sa caméra vers la région de Detroit, dont les ruines ont récemment attiré le regard d’une poignée de cinéastes qui semblent vouloir saisir son image avant qu’elle ne disparaisse définitivement dans un nuage de poussière. C’est justement le sujet du premier film du cinéaste Ryan Gosling, qui voit dans la déliquescence de l’ancienne cité industrielle l’image de la fin d’une civilisation, incarnée par une mère de famille et ses deux fils. Ils font partie de la poignée de déshérités qui peuplent encore un quartier devenu une vaste succession de terrains vagues dans la petite ville de Lost River, Michigan.
Fort d'un carnet d’adresses bien rempli, Ryan Gosling s’est entouré d’une équipe que peu de cinéastes débutants ont les moyens de s’offrir, en particulier pour un projet de la nature de Lost River. La rançon de la gloire. Outre son casting (dans lequel on retrouve Christina Hendricks, déjà à l’affiche de Drive, et Eva Mendes), le film est avant tout marqué par l’omniprésence du chef opérateur belge Benoît Debie – responsable de la lumière de Spring Breakers et des films de Gaspard Noé – l’un des meilleurs du moment et qui s’en donne à cœur joie en explorant une palette de couleurs éclatantes, dans la lignée de ses travaux précédents. Cependant, force est de constater qu’à l’image des acteurs, ce dernier semble un peu en roue libre, porté par son talent et son expérience mais vraisemblablement peu dirigé par un cinéaste débutant dépassé par ses ambitions esthétiques. En bon cinéphile, Ryan Gosling a accumulé de nombreuses références qu’il peine à assimiler, d’où une impression d’empilement de clins d’œil et de citations un peu vaines – on retrouve pêle-mêle Dario Argento, Mario Bava, David Lynch ou encore Nicolas Winding Refn – les images étant illustrées par une musique qui manque elle aussi de cohérence. Le jeune réalisateur semble également très influencé par la branche de plus en plus omniprésente d’un cinéma indépendant qui s’attache à représenter la dure vie des perdants du rêve américain. Désireux de s’approcher des tonalités élégiaques des films de Jeff Nichols et Benh Zeitlin (deux auteurs pour qui la nature, comme chez Gosling, est un élément proéminent de la narration), le cinéaste s’embourbe dans un moralisme peu subtil (la maison qui brûle au ralenti, la destruction des bâtisses filmée sous tous les angles) qui fait parfois dangereusement pencher le film vers une fascination morbide pour ce monde en ruine, à la limite du misérabilisme.
Faible sur le plan narratif et dénué d’un propos véritable (on nous a déjà raconté de nombreuses fois cette histoire, parfois beaucoup mieux), Ryan Gosling fait cependant preuve d’une indéniable envie de cinéma, et il y a une honnêteté dans son film qui fait pardonner une partie de ses maladresses. La volonté du cinéaste de faire basculer ce monde en ruine dans le surnaturel – qui semble directement héritée des Bêtes du Sud Sauvage – se heurte cependant à un manque d’idées narratives fortes et à une greffe entre les genres qui ne prend pas. La piste dystopique manque de souffle (le bad guy devenu maître d’un monde vidé de ses habitants), celle de la sorcellerie ne mène qu’à une impasse (à l’image du casting de Barbara Steele) et la partie du film qui fait le plus ouvertement référence au giallo et à l’univers inquiétant de David Lynch apparaît comme la plus ratée. A ce titre, la séquence qui voit le personnage pour le moins ambigu du conseiller bancaire entamer une danse perverse illustre bien le gouffre qui sépare le grotesque déviant d’un Lynch du ridicule anecdotique. Ainsi, entre le cinéma indépendant politiquement conscient et le délire post-giallesque, la sauce ne prend jamais et le film reste en suspension, incapable de se découvrir lui-même.
Très attendu à Cannes, porté par la popularité de son auteur, Lost River s’est pris un méchant retour de bâton après les premières projections publiques, nous rappelant que les privilégiés qui ont le vent en poupe s’exposent généralement à des critiques acerbes dès lors qu’ils font un pas de travers. Avec sa réussite insolente et son profil de gendre idéal, Ryan Gosling apparaît comme une cible de premier choix. Il faut reconnaître que son film laisse un sentiment très mitigé, séduit par ses images mais manque terriblement de substance. Peut-être le cinéaste débutant avait-il trop envie de bien faire, de rendre une copie propre et léchée, quitte à oublier d’insuffler un peu d’énergie et de provocation dans son film. En tant qu’acteur dans Drive, Ryan Gosling avait participé au succès d’un film au post-modernisme définitif, n’existant qu’à travers ses images ; miroir déformant renvoyant au monde ses fantasmes baignés de couleurs. Pour son premier film, il a conservé ce goût de l’esthétique, mais oublié de faire vibrer l’intérieur de ses cadres, le cœur de ses images. Reste quelques très belles visions, tels ces lampadaires à moitiés engloutis, derniers témoins d’une ville submergée, qui s’illuminent subitement dans la nuit noire d’une cité devenue jungle tropicale. Et la présence toujours magnétique de Saoirse Ronan, actrice précieuse dont la chevelure de jais et les yeux azurs assurent une présence envoûtante à ce film en demi-teinte traversé de quelques superbes visions fantasmagoriques.