Le sous-sol de la peur (USA 1991)

Réalisation/Scénario :

Interprétation : , Everett McGill, Wendy Robie |

 

Plus encore que la parabole transparente de la lutte des classes mise (très) en avant ici, le bel enjeu du Sous-sol de la peur réside dans sa manière de scruter la tension entre horreur et émerveillement qu'éprouve pour la première fois un petit garçon du ghetto de L.A. : Fool. A première vue pourtant, la situation tire vers le cauchemar pur. Fool, pour éviter à sa famille de se faire mettre à la porte de leur appartement, décide de voler l'argent de ses propriétaires. Il se retrouve alors enfermé dans une immense villa aux allures de forteresse cosy, qu'on pénètre avec difficulté mais dont il est plus dur encore de sortir. L'intérieur de la maison le plongera au cœur d'un enfer bourgeois fait d'esclavage, de cannibalisme, d'inceste et d'imagerie sadomasochiste. Les people under the stairs du titre original, symbole entendu d'une classe violemment subordonnée à une autre, vont incarner la naissance du sentiment d'injustice sociale dont est victime Fool.

xDP7r

Le film croule ainsi sous les dualités criantes : l'enfance opposée au monde adulte (constante Cravenienne s'il en est), la richesse à la pauvreté, le blanc au noir, la maison à son sous-sol etc. Pour autant, ces jeux de double face ne sont passionnants qu'en ce qu'ils installent une tension moins bien géographiée à l'intérieur du personnage. Tout l'intérêt de ce Sous-sol de la peur est de confronter son jeune héros non pas à l'horreur des différences et des inégalités, mais à la naissance d'un sentiment beaucoup plus diffus : celui qui germe au contact simultané de l'horreur et de l'enchantement. Wes Craven, à son habitude, filme un conte. Son personnage y rencontre les ogres, y côtoie les idées, nouvelles pour lui, des injustices sociales et de la mort, mais aussi le premier amour.

stairs3

Ce nœud de sentiments contradictoires est exprimé par la maison elle-même qui, plutôt que de se satisfaire du monde des apparences opposé à son négatif souterrain, déploie des trésors (à l'image de celui que Fool cherche) de points de fuite et de chausse-trappes. La villa dans son entier, pas seulement sa cave, est un formidable dédale de double-fonds, atteignables par des entrées dans les murs, les conduits, les placards... La bâtisse porte en elle des gouffres ténébreux autant que d'aventureuses perspectives. Une séquence merveilleuse voit Fool s'évader par une fenêtre, glisser le long de toits pentus éclairés par la fantastique clarté bleutée de la nuit, et se jeter dans un petit étang, celui-là même à côté duquel il se tenait lorsqu'il a aperçu la fillette à travers la fenêtre de sa chambre pour la première fois . La scène n'a plus rien d'horrible (contrairement à ce qui poursuit l'enfant), elle illustre l'enchantement d'une aventure nouvelle : sauver la petite princesse des griffes de ses bourreaux.

Lorsqu'il revient et qu'il s'apprête à parvenir à la sauver, la fillette lui apprend que leur évasion ne pourra plus se faire par cette fuite merveilleuse : le couple de propriétaires a vidé l'étang de son eau. L'enchantement béât ne pourra pas avoir lieu une troisième fois dans les mêmes eaux, l'ogre veille au grain. Toutefois, plus tard dans le film, l'un des captifs dont la langue a été coupée écrit le prénom d'Alice avec son doigt, sur la cendre d'une vitre, pour indiquer à Fool où elle se trouve. Le prénom magique effaçant la poussière infernale qui recouvre les murs, premier pas de leur victoire à venir sur les bourreaux.

stairs2

Il y a tout de même horreur dans le film, mais une horreur soustraite à l'appréhension nouvelle de la mort par son petit spectateur. Se répète ainsi le motif du cadavre récalcitrant, qui ne semble jamais tout à fait mort ou que l'on agite même pour faire croire qu'il est vivant. Le premier cadavre qu'aperçoit Fool est dans une position ambiguë, courbé et les yeux grands ouverts comme s'il le scrutait encore. Suite à cette vision traumatisante, c'est son ami qui gît au sol, et qui s'anime soudain. La frontière est définitivement flouée : les morts ressemblent aux vivants, et les vivants aux morts. Plus loin, c'est avec un cadavre que l'on s'amusera, hilare, comme d'une marionnette (petit jeu qui plairait à Freddy Krueger). L'idée de mort apparue enfin à Fool (sa mère est par ailleurs mourante d'un cancer) se fige dans son esprit pour achever de faire des êtres la seule chose qu'ils sont, au fond : des corps qui s'agitent, et que l'énergie finit par quitter.

stairs5

La révolution qui s'opère juste avant la fin du film vaut autant par l'image du soulèvement social qu'elle figure que par l'image de corps, pas encore tout à fait morts, qui veulent regagner leur place dans l'espace, fût-ce en traversant non plus des portes dérobées ou des placards improbables, mais en transperçant de leurs bras et de leurs pieds la pellicule finalement fragile des murs de la maison. Le conte s'achève alors : les ogres sont battus, la princesse est sauvée et les laissés pour compte entament une danse, image double d'un optimisme retrouvé et d'un désespoir accru. Et résonne encore ce qui s'avère décidément le mantra de la filmographie de Wes Craven : If I die before I wake, I pray the lord my soul to take.

Stairs1

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn

Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir