Sexcrimes (USA - 1998)

Réalisation: John McNaughton

Scénario: Stephen Peters

Interprétation: Kevin Bacon, Matt Dillon, Neve Campbell

Basic Instinct (USA - 1992)

Réalisation: Paul Verhoeven

Scénario: Joe Eszterhas

Interprétation: Michael Douglas, Sharon Stone

 

LEURRES DU CRIME

 

Début des années 90: dans la salle obscure, le spectateur réclame sa dose de violence et de sexe, à la façon d'un lecteur de pulps. Au sein d'une Amérique molle, Paul Verhoeven poursuit sa quête de l'excitation hard. Mais l'érotisme n'est pas là pour plaire au bourgeois, il est là pour faire de lui une marionnette. La décennie Adrian Lyne est bouclée, le néo-thriller malpoli à la Verhoeven possède d'autres velléités. Fouiller les caves du bon citoyen, inspecter son inconscient, englober ses fantasmes à deux sous en un tout compact, une reliure à la fois faite de papier glacé et imbibée de sang. Basic Instinct, scénarisé par Joe Ezterhas, est un énorme succès.


Six ans plus tard se profile son double teenager, jumeau déformé et sarcastique, tout aussi pervers et ludique, se jouant du vide et de la vulgarité: Wild Things, dont la traduction française approximative ne fait que surligner la grossièreté. Le film pour adolescent s'y déconstruit et s'y contemple dans toutes ses dénotations: parties de jambes en l'air affriolantes, figures juvéniles dénuées de substance, pom-pom girls, prof séducteur, mauvais goût assumé, bimbos provocatrices, scènes qu'un jugerait sorties d'un clip tendance et médiocre.

 

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Catherine Trammel et Kelly (Denise Richards) sont toutes deux captées par l'objectif de la caméra. Dès le départ, on nous invite à penser que la vérité est déformée, et qu'elle ne cessera de l'être. Du détective de Sexcrimes aux inspecteurs de Basic Instinct, chacun, à un moment où un autre, usera du bluff. Et le spectateur dupé d'être baladé, avec en fond sonore les mélodies envoûtantes d'un Jerry Goldsmith ou d'un saxo lancinant. Le regard de Nick Curran se régalant de la nudité de la romancière perçue à travers une fenêtre épouse celui du sergent Ray Duquette (Kevin Bacon), qui dans le cadre de son "enquête" se plaît à filmer les ébats de ses principaux suspects.

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Les instincts basiques d'un côté, et ces choses sales de l'autre. La luxueuse propriété de Catherine Trammel, face à la misère anonyme d'une banlieue portière peu propice aux rêves. En ouverture, la croqueuse d'hommes en pleine action, et, dans Wild Things, l'apparition sournoise d'un alligator. Deux histoires de manipulation, où les corps se devinent, se dévoilent, s'offrent, se caressent pour mieux se brutaliser, et ne cessent de se mettre en spectacle, personnage contre personnage, personnage contre spectateur. John McNaughton, avec Henry: Portait of a Serial Killer, nous confrontait déjà à l'ambivalence de notre propre perception, celle du film, de la vidéo dans le film, des figures mises en scène et de la captation de leurs actes, perception à la fois douloureuse et captivée, distante et voyeuriste, cherchant désespérément à séparer le vrai du faux, volonté absurde s'il en est au sein d'une pure fiction.


Flic, personnages secondaires, mantes religieuses, Sex Crimes et Basic Instinct épuisent les stéréotypes pour mieux inverser leurs rôles et s'amuser de nos considérations premières. L'innocente devient la meurtrière, et vice et versa, dans ce maelstrom de faux semblants et d'images redessinées où surjouent les acteurs d'une même pièce. Peu importe la vraisemblance d'un récit qui part dans tous les sens et nulle part à la fois. Au premier abord victime (du moins nous en étions persuadé), Kelly affirme sa supériorité, lors d'une sortie de piscine dévoilant en partie son anatomie. Séquence que l'on peut mettre en parallèle avec cette scène d'amour dans une même piscine, celle de Showgirls, instant sensationnel, putassier, gratuit, mais nécessaire à l'écriture des personnages. Dans Basic Instinct comme dans Sex Crimes, la scène de sexe centrale représente un tournant (un twist), elle effectue à la fois un aboutissement et une rupture, comme si elle annonçait la venue d'une deuxième histoire. A partir de ce moment-là, la duperie ne sera plus seulement un plaisir enfantin, mais une mise en œuvre radicale de l'illusion en forme de crescendo fatal. Il s'agit à tout moment, et non sans sadisme, de s'emparer des croyances naïves du public.

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Et de s'emparer des codes. Ceux du film à enquête et du thriller psychologique. Tous deux genres hitchcockiens, empruntant les ressorts du whodunit, qui ne demandent qu'à être modernisés, c'est à dire détournés façon postmodernisme désabusé. Les enquêteurs, un brin pathétiques ou détraqués sexuels, n'ont rien d'un Cary Grant. Tant mieux: les femmes fatales n'ont rien des héroïnes des chef d'œuvres dont elles se présument les héritières. A la sensualité subtile est privilégiée la vision frontale du sexe, à l'ambiguïté fascinante se succèdent les visions explicites d'échangisme et de bisexualité assumée, et, dans ce jeu incessant des masques entre arroseurs et arrosés, chacune est réduite à sa seule apparence, évidemment trompeuse. Si ce n'est qu'à l'équilibre fragile entre interprétation et authenticité chère à Verhoeven (l'impitoyable Tramell pleurant la mort de son amante) John McNaughton répond par un verdict implacable, où le cynisme des vanités finit de troubler à jamais les identités par le prisme de la ronde des massacres.


La question n'est plus de savoir "qui est qui", mais "qui tuera qui": ce qui importe, ce n'est pas les relations qu'entretiennent les personnages mais lequel d'entre eux restera en vie. Et ce à l'intérieur d'une romance désespérée où l'on cherche la sincérité d'un regard, ou d'une autoparodie malhonnête épuisant à l'excès tous ses mécanismes narratifs...


Dans Basic Instinct comme dans Sex Crimes, la finalité importe peu, puisque les désirs primaires (domination, homicide, fornication) l'emportent sur la résolution de l'enquête, postulat devenu anecdotique et résolument passé à la trappe. La fiction en elle-même compte moins que les formes alternatives, obsédantes et charmeuses dont elle se vêtit pour mieux nous confronter aux leurres.


Une succession de fondus en noir semblent repousser in extremis le générique de fin (ou le ponctuer), nous dévoilant une fin traditionnelle, puis une fin perverse, arrogante, vertigineuse. Le motif de la tromperie demeure vivace jusqu'aux ultimes et précieuses minutes de ces deux divertissements hollywoodiens, transfigurant l'usine à rêves en arnaqueuse professionnelle.

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