Le sadique
Le sadique (USA – 1963)
Réalisation/Scénario : James Landis
Interprétation : Arch Hall Jr., Helen Hovey, Richard Alden | voir le reste du casting
En route pour assister à un match de base-ball à Los Angeles, trois enseignants tombent en panne de véhicule au milieu du désert. Heureusement pour eux cela se produit non loin d'un garage qu'ils arrivent à rejoindre tant bien que mal, toutefois il règne sur les lieux un silence des plus inquiétant..
Le film de James Landis est la première mise en fiction de l'affaire Charles Starkweather, dont s'inspireront respectivement Terrence Malick et Oliver Stone pour La balade sauvage et Tueurs-nés, et s'avère très certainement représentatif de la zeitgeist de l'époque : le cauchemar de tous citadins, être pris en otage par un délinquant juvénile peu enclin au dialogue et aimant les armes à feu, auquel Archie Hall Jr prête ici avec brio sa démarche oblique et chaloupée. Avec le ton solennel digne d'un film éducatif, le pré-générique nous éclaire succinctement sur les motivations profondes du personnage mais celles-ci ne seront pas forcément explicitées par la suite. Elles seront plutôt à déduire de cette lente parade d'oppression montrée en temps réel qui constitue l'essentiel du déroulement, et surtout l'intérêt premier du film puisqu'il est régulièrement cité de mémoire de critiques comme précurseur en ce qui concerne à la fois ce type de sujet et ce type de narration. On a pas manqué non plus de saluer le travail du directeur de la photographie, William Zsigmond (Vilmos Zsigmond, devenu célèbre par la suite pour ses prestations sur Rencontre du troisième type et Délivrance) dont les somptueuses compositions infusent à ce huit-clos se déroulant à l'air libre, avec une décharge automobile pour seul décor, les atours d'un drame faulknérien.
Le cauchemar débute avec l'irruption d'une arme dans le champ, et pour nos personnages la prise de conscience qu'elle se trouve définitivement entre de mauvaises mains car avec elle viendront la menace, l'humiliation et la dépossession, la violence ainsi que la mise à mort. Chaque geste, parole et attitude sont considérées dans la mesure de ce qu'il est possible de dire ou non pour ne pas effleurer la sensibilité de celui qui la tient et cette constante deviendra le vecteur dramaturgique principal, où il s'agira vraiment d'agir sans être vu, de pouvoir parler sans être tué. Une simple demande qui en des circonstances normales ne porterait pas à débats devient objet de négociation, une occasion pour celui qui opprime d'asseoir son pouvoir, de signifier que justement les choses ne « vont plus de soi » - surtout depuis qu'il a découvert la profession de nos protagonistes. Charlie est accompagné dans sa cavale par la mutique Judy, et les profs n'ont pas toujours étés très sympas avec Judy apparemment. Alors bien sûr on se retrouve dans le cas de figure classique du gros dur qui ferait tout pour sa chérie, mais au-delà du plaisir manifeste de renverser la distribution des pouvoirs (il déchirera les photos de famille du vieux professeur, et fera manger de la terre à la plus jeune) ainsi qu'une haine véritable pour les structures de l'éducation et plus généralement pour toutes celles qui imposent un modèle, transparaît véritablement l'amour de Judy et Charlie, qui lui, semble passer directement par « la reconnaissance de l'âme », un lien qui ne semble exister que pour ceux qui ont étés oppressés toute leur vie, d'une façon ou d'une autre, et qui se dispense très bien des conventions aussi bien que du langage.
Et justement ces modèles établis, qu'ont-ils de plus à offrir précisément ?
La condescendance, dès l'ouverture du métrage, des deux professeurs mâles envers leur collègue féminin qui « n'a jamais assisté à un match de base-ball mais veut déjà en changer les règles » pourrait bien faire office d' indicateur, et pour ne rien arranger cette dernière confond deux fois d'affilée un vestige de chambre à air avec un serpent. Le film de Landis ne manque pas d'attaquer à la racine le bien-fondé du machisme de son époque par le biais d'un élagage dans les règles des archétypes masculins : le premier étant le vieux professeur pas très loin de la retraite qui peut se permettre de jouer au vieux sage sans trop prendre de gants (« vous qui êtes bonne à marier, vous le trouvez comment le p'tit ? ») mais qui finalement se laissera exécuter non sans avoir supplié pour sa vie ; tandis que le second s'avère plus prompt à tomber la chemise davantage pour montrer ses biscottos que pour s'en servir. A ce titre le final est par ailleurs doublement rocambolesque et justifierait à lui seul une entrée du film parmi les légendes du cinéma : notre séducteur ne tentera le tout pour le tout que parce qu'il ne peut plus faire autrement, de façon complètement stupide et stérile ; quant à notre bourreau, il se retrouvera face à son destin en tombant par inadvertance dans une fosse à serpents.
Plus encore que la question du jugement concernant le cas Starkweather, car donc en effet la conclusion n'apporte pas forcément de réponses en ce qui concernerait l'issue d'un éventuel renversement des classes, c'est surtout un étrange constat qui finit par se dégager d'entre toutes les thématiques et qui vient peser sur les épaules de l'enseignante survivante : elle devra tenter de reprendre sa vie en ayant bien en tête désormais que le monde n'est donc constitué que de lâches, de demi-lâches ou bien de sadiques purs et simples – les policiers venus un peu plus tôt et sans succès à leur secours n'étant que des fonctionnaires un peu trop confidents.
Peu de gens se souviennent paraît-il aujourd'hui du film de James Landis si ce n'est un certain Joe Dante qui possède les droits d'une copie 35mm à l'origine de nombreuses ré-éditions en dvd du film, mais son sujet résonne de plus en plus jusqu'à nous (pensons aussi bien au Punishment Park de Peter Watkins qu'au Tusk de Kevin Smith, ainsi qu'à l'imminent The Stanford Prison Experiment de Kyle Patrick Alvarez) la volonté de montrer des interactions que les trois-quarts des fictions contemporaines se refusent à aborder : les relations de pouvoir, les relations d'autorité, ainsi que la notion toute relative d'héroïsme. Et pour continuer avec la modernité « matricielle » du film, je me permettrais juste de souligner un plan de trente secondes dans les derniers instants de fuite de notre héroïne, avant qu'elle ne réalise qu'elle est complètement hors de danger, un tout petit moment de caméra portée qui je crois, devrait ravir absolument les fans de Tobe Hooper.