L'élan
L'élan (France – 2015)
Réalisation : Etienne Labroue
Scénario : Marc Bruckert, Etienne Labroue
Interprétation : Aurélia Petit, Olivier Broche, Délia Espinat-Dief | voir le reste du casting
L'Élan, ainsi nommé par commodité, est un curieux personnage de plus de deux mètres de haut, vêtu d'un long pardessus et doté d'une tête de cervidé... en peluche. Apparu un beau jour dans la campagne d'un petit village reculé, la première à le découvrir est la jeune Shelby Petiot, dite « la contactée » en raison du lien particulier qui la lie au personnage. En effet, Shelby communique avec l'Élan par télépathie. Ainsi est-elle la seule à le comprendre, car celui-ci ne parle pas. Recueilli chez les Petiot, l'Élan devra essuyer les réactions des villageois, pas tous si bienveillants.
Mais d'où vient « l'Entité Élan » ? Quelle sera la durée de son passage sur Terre et surtout, quelle y est sa mission ? De quelle nature est le lien qui le lie à Shelby ? Et pour quelle raison secrète l'apparition de l'Élan coïncide-t-elle avec la venue de Bernard Montiel, l'ex présentateur de TF1 ? Tels sont les mystères qu'un chercheur du paranormal, spécialiste de la question extraterrestre, va tenter d'élucider.
Le film se découpera en trois parties, suivant la trame de l'enquête : l'hypothèse extraterrestre, accidentelle, puis intraterrestre. La voix-off de l'investigateur mène le film, commentant chaque nouvelle avancée d'un ton solennel agrémenté de son jargon « scientifique ». C'est dans le décalage entre ce sérieux de pape et l'absurdité de la situation (un élan à tête de peluche face à des villageois pas très dégourdis) que réside tout le comique du film. Sans compter sur la dégaine de l'ufologue : énormes lunettes très eighties et tenue assortie carrément ringarde, moumoute en supplément.
Ce personnage qui détonne sur l'environnement campagnard, dans lequel il semble aussi invraisemblable que les créatures qu'il étudie, est en fait un hommage au décédé Jimmy Guieu. Écrivain de SF français, Jimmy Guieu réalisa de 1991 à 94 une série de documentaires VHS nommée « Les Portes du Futur » ayant trait au paranormal en général et à l'hypothèse extraterrestre en particulier. Ces investigations, encore visibles sur le net, semblent aujourd'hui extrêmement kitsch mais Jimmy Guieu prenait ces sujets très au sérieux, d'où le ton général du film.
Manque de finances ou fait exprès, certaines scènes montrent leurs limites. Ainsi de la famille Petiot à bord de sa voiture, détourée pour ajouter la route de l'arrière-plan en post production. On pense à la série des Gendarme de Saint Tropez (la bonne sœur dans sa 2 CV) ou aux vieux Fantomas et leurs course-poursuites en automobiles... Et que penser de ce bloc de roche sorti de l'intérieur de la terre sans plus d'explication, volant à travers les airs à la recherche de l'Élan ? Il est clairement détouré lui aussi et incrusté dans l'image, en un cocasse hommage aux films de série B. Cette esthétique du low-budget nous ramène à quelque chose de désuet, quelque chose qui a trait aux films auxquels on tient dans leurs faiblesses, et que l'on aime encore plus pour cela. Ces effets, bien que discrets, sont assumés et bien plus drôles que ceux d'un blockbuster.
L'humour du film doit aussi beaucoup au choix des acteurs. C'est avec plaisir que l'on retrouve Olivier Broche et François Morel bien connus pour avoir joué dans les Deschiens, chez qui l'on retrouve cette drôlerie savoureuse de personnages de français moyens (cette formidable scène où le garagiste hésite longuement dans la disposition des panneaux publicitaires à l'effigie de l'Élan, le véritable Élan à ses côtés). Et Bernard Montiel dans son propre rôle maîtrise parfaitement l'autodérision. Sans parler de la clique des chasseurs du dimanche, pas aussi alcoolisés que les « bons chasseurs » des Inconnus mais guère plus brillants.
Mais l'Élan ne se contente pas de nous faire rire. Ce village presque vide, sans figurants pour emplir les rues, infuse discrètement un manque de réalité, une impression d'onirisme. Le choix d'un petit village pour situer l'intrigue n'est pas anodin : l'Élan, qu'il soit extraterrestre, intraterrestre ou que sait-on encore, est l'étranger. Figure de la différence extrême, de l'autre avec lequel toute communication est au fond impossible (sauf avec des êtres spéciaux, des hybrides, des « contactés » comme l'est Shelby). Source de curiosité ou de condescendance dans le meilleur des cas ; bien plus souvent victime de rejet voire de franche agressivité. Et l'intégration est d'autant plus difficile dans les campagnes reculées, moins préparées à la diversité et aux changements.
Le personnage de l'Élan est, à ce niveau-là, remarquablement réussi. Car comment insuffler de l'expressivité à une tête de peluche, et comment faire ressentir la compassion à son égard ? L'Élan semble passif et hermétique, mais parfois une larme lourde d'affect roule de ses grands yeux. Il est dit que les amérindiens épargnaient les élans, seuls animaux à savoir pleurer. Ce qui les rapproche un peu des humains, car ce qui nous ressemble permet l'empathie. De ce simple détail celui dont nous ne savons rien, ni s'il est bon ou mauvais, devient figure de mélancolie. Les Petiot s'attachent rapidement à l'Élan, et le spectateur aussi. Pourtant, incarner l'Élan fut une performance qui n'était pas gagnée d'avance : un comédien dissimulé à l'intérieur du costume, marionnettiste de profession, n'avait à sa disposition qu'un écran lui restituant l'image caméra pour diriger ses mouvements et son jeu.
Plus l'intrigue avance et plus les hypothèses paranormales rivalisent d'inventivité (et de ridicule). Les amateurs de SF, ésotérisme de bazar et autres théories du complot se réjouiront devant cette ribambelle de références (il est question de reptiliens, de monde souterrain évoquant l'Agartha...). Références pas dénuées de fondements cependant, ainsi l'Élan sera dit psychopompe (du grec psukhê « âme » et pompê « celui qui conduit »). Or, dans certaines traditions d'Europe du nord, chez les Celtes par exemple, le cerf, le renne, le chevreuil et donc par extension l'élan jouaient un rôle de psychopompe, accompagnant le défunt dans l'autre monde.
Mais, sans pour autant dévoiler la fin du film, un absurde fracassant viendra réduire ces théories fumeuses à néant (ou poser encore plus de questions pour les accros de l'interprétation). Ici l'Élan fait un gigantesque pied de nez au sérieux déroulé tout du long et aux interprétations intempestives du moindre signe. Tout doit-il nécessairement avoir un sens ? Plus que la mission de l'Élan, c'est finalement cette question-ci qui s'avèrera centrale.
Certains verront dans cette conclusion une solution de facilité, élaborée par des scénaristes flemmards qui se cachent derrière le prétexte de l'humour pour faire passer tout et n'importe quoi. On peut le voir ainsi. Mais cela rejoindrait aussi la petite Réalité du dernier Quentin Dupieux, qui après avoir visionné le contenu transcendant d'une mystérieuse VHS, va la jeter droit aux ordures. L'achèvement de l'Élan entre en résonance avec le « Why should I give a shit ? » asséné chez Dupieux : après tout, qu'est-ce qu'on s'en balance ? Quand une part du cinéma français se boursouffle de sérieux, l'Élan le singe dans l'absurde puis fait crever la baudruche en une hilarante autodérision.
En somme un premier long-métrage très prometteur. Reste à voir si de prochaines réalisations confirment le sentiment suivant : le cinéma français a heureusement un bel horizon qui se déroule devant lui, il faut seulement savoir où se tourner.