Horrors of Malformed Men
Horrors of Malformed Men (Japon – 1969)
Réalisation : Teruo Ishii
Scénario : Teruo Ishii, Masahiro Kakefuda d'après le roman d'Edogawa Rampo
Interprétation : Teruo Yoshida, Yukie Kagawa, Teruko Yumi
A peine évadé d'un asile de fous, Hirosuke, un jeune étudiant en médecine à la recherche de ses véritables origines se retrouve injustement accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis. Usurpant l'identité d'un fils de bonne famille lui ressemblant traits pour traits, sa quête identitaire va le conduire sur une île où un scientifique fou se livre à des expérimentations inhumaines.
Adapté d'un roman d'Edogawa Rampo, l'un des pionniers du courant littéraire érotico-grotesque qui émergea au Japon dans les années 20, le film de Teruo Ishii est demeuré longtemps invisible en raisons des thématiques abordées pour finalement se retrouver conspué par les puristes du genre, le jugeant finalement bien en-deçà de sa mythique réputation. Continuant de diviser la profession à travers les âges il n'en demeure pas moins considéré comme précurseur dans le registre « pinky violent » du cinéma japonais des années 70.
Le film distille pourtant admirablement dans sa première partie l'essentiel des thématiques littéraires inhérentes au genre (notamment celles du double et de la folie) pour créer une ambiance trouble saturée de pathos et d'hystérie des plus fascinantes. Le chapitre de la fausse identité et de l'intégration d'une famille qui n'est pas la sienne par notre héros vient ensuite rajouter son lot de mystères concernant la question de ses origines, mais aborde surtout sans prévenir un éventail de registres supplémentaires, s'ouvrant sur une scène de « résurrection » absolument burlesque pour basculer d'autant mieux vers une atmosphère à la tension psychologique exacerbée, où le quotidien le plus banal se fait source de menaces de plus en plus mortelles au fil des jours. Le film suinte absolument le malaise et la névrose par tous les pores car la sexualité déborde pour ainsi dire systématiquement sur la question des enjeux, quels qu'ils soient, venant envahir le récit et tout balayer (piétiner serait plus juste) sur son passage , apparaissant tour à tour un peu sale, animale, débridée, perverse et toujours clandestine, hantée par la proximité de la mort ou du mensonge.
Se décidant à aborder l'île mystérieuse source de toutes les rumeurs, Hirosuke se retrouve face à son géniteur, un scientifique dément affublé du complexe de Mauvais Démiurge, fortement inspiré du Docteur Moreau de H.G Wells, qui n'hésite pas à expérimenter sur ses propres enfants, ou à instrumentaliser leurs destins pour en faire les vecteurs de sa quête absurde. Une fois encore le pathos et la frustration se feront le terreau de la folie, sur fond d'inceste et de vengeance, et si Hirosuke comprend enfin la nature des visions qui le hantent depuis sa jeunesse ainsi que le mystère de sa propre naissance, il lui faudra encore trouver la force de rompre cette filiation mortifère. C'est dans cette deuxième partie à proprement parler que du point de vue des puristes, le récit finit de se défigurer lui-même, en offrant paradoxalement un paroxysme dans ses ambitions formelles et plastiques, et un retranchement considéré comme saugrenu qui le repousserait dans les recoins impurs du « whodunnit » classique, par le biais de deux flash-backs consécutifs venant remettre (« un peu trop ») les pendules à l'heure et les choses à leurs places.
Car oui, par bien des aspects, Horrors of Malformed Men est un film-somme , faisant écho au cinéma-Panique d'Alejandro Jodorowski, notamment sous l'angle de la convocation d'un maximum de médias artistiques : un travail sur les éclairages absolument somptueux ainsi que l'emploi de filtres colorés pour transformer les flash-backs en une succession de tableaux monochromes reflétant l'état psychologique des personnages, ensuite une certaine recherche dans les maquillages (pour figurer toute une galerie de personnages hybrides issus des travaux obscènes du savant fou, à la croisée du Freaks de Tod Browning et de l'univers des performistes japonais) ainsi que la présence de chorégraphies et de scènes un peu ritualisées, tous ces paramètres mis bout-à-bouts confèrent une dimension absolument unique au métrage, à mi-chemin entre rêve et cauchemar. Et bien que le récit ne franchisse jamais le pas vers une forme de réalisme magique, la veine tragico-grotesque renvoie tout à fait à la dimension cathartique des travaux du réalisateur chilien, et de ses théories de guérison psycho-shamaniques. La partie finale du film de Teruo Ishii est en effet le lieu où toutes les blessures sont expliquées et comprises, et par conséquent guéries, soit par le biais d' une chronologie rétablie, soit au travers d' une apothéose frôlant l'absurde, à la poésie indéniable.
Aussi, si celui-ci peut donner l'impression de pécher quelque peu par un manque relatif de moments immersifs, qui permettraient d'apprécier davantage à leur juste valeur les paliers et les nuances des différents registres horrifiques propres à l' oeuvre de Rampo, il trouve cependant son intérêt dans cette tentative-même, cet assemblage bringuebalant qui essaie justement d'en présenter un maximum de facettes.