Snuff Movie (UK/US/Roumanie – 2005)

Scénario/Réalisation: Bernard Rose

Interprétation:  | voir le reste du casting

 

Boris Arkadin est un ancien réalisateur de films d'horreur, devenu un reclus suite aux meurtres sauvages de sa femme et de ses amis par un gang de jeunes femmes cherchant à reproduire les images d'un de ses films, Premature Burial. Des années après le fait divers, Arkadin va sortir de son silence médiatique pour tourner un dernier long-métrage, un film d'un type bien particulier dans lequel il jouera également l'un des rôles principaux...

Avec Snuff Movie Bernard Rose revient au cinéma horrifique, des années après ses très réussis Paperhouse (1988) et Candyman (1992), et livre un film d'un type bien particulier, dans lequel il joue (presque) un des rôles principaux. Patchwork improbable de nouvelles technologies et d'anciennes mythologies, Snuff Movie est un film du collage et du décalage, qui prend appuie sur les crimes de la Famille Manson et sur l'essor du streaming et de la real tv pour construire une galerie aussi fascinante qu'imparfaite.

Snuff Movie n'a en effet pas grand-chose à voir avec les cauchemars glacés et stylisés des deux films d'horreur précédents de Rose. Il s'agit d'un tout petit budget jouant ouvertement la carte du spectacle auto-réflexif. Snuff Movie part des mêmes bases que d'autres films tournés au début des années 2000, comme Halloween Ressurection (Rick Rosenthal, 2002) ou My Little Eye (Marc Evans, 2002), en prenant comme point de départ un spectacle de télé-réalité meurtrier. Snuff Movie est cependant bien plus passionnant que les deux films suscités, dans sa manière d'organiser un jeu de dupes permanent qui questionne directement la nature de l'image horrifique. Au croisement entre la légende urbaine – les fameux snuff movies qu'auraient tournés les membres de la Famille, selon Ed Sanders – différentes réalités et le flux continu d'images web, Snuff Movie organise un décalage transgressif carburant à la violence visuelle, au voyeurisme et à un érotisme malsain. 

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Si l'on reconnaît bien sûr Roman Polanski en la figure de Boris Arkadin, le personnage interprété par Jeroen Krabbé est nettement plus complexe qu'un simple décalque du réalisateur de Rosemary's Baby. Il emprunte en effet certains aspects à Stanley Kubrick – la vie d'ermite, la volonté de s'autocensurer – à Orson Welles – le cigare, le bagout – mais aussi à Bernard Rose lui-même – Lisa Enos, qui dans le film interprète l'actrice qui doit jouer la femme d'Arkadin, était alors la femme de Rose.

Le film débute par une séquence empruntant tous les tropes visuels à l'horreur gothique la plus classique. Un médecin se rend dans une grande demeure de maître, pour se rendre au chevet de la femme d'un notable local. Elle est enceinte, et malade : le médecin procède à une césarienne, et la mère se retrouve enterrée vivante dans le tombeau familial. En entendant les cris de son enfant, plusieurs jours plus tard, la mère va sortir de son cercueil...

Les images que nous regardions étaient en fait celles de Premature Burial, le dernier film d'Arkadin, qui le projette à ses amis. Tandis qu'une fête bat son plein, Arkadin reçoit un coup de téléphone, et quitte la grande villa – lieu de tournage de son film – pour se rendre en salle de montage : des coupes doivent être effectuées, selon la production.

Le film bascule alors sur un troisième régime d'images, puisqu'il mime une caméra portée tenue par un membre du gang sur le point d'attaquer les invités d'Arkadin. Le mystérieux Réalisateur ne dévoile pas son visage, mais filme les atrocités commissent par les jeunes femmes qui l'accompagnent, qui reproduisent donc les images que nous venons de regarder.

À la faveur d'un lent travelling arrière, le spectateur découvre alors que les images qu'il regarde sont diffusées sur un poste de télévision, devant lequel sont installés une jeune actrice, Wendy et son petit ami. La caméra adopte le point de vue de la télévision, et le couple se met à faire l'amour, tout en continuant à regarder le reportage racoleur. Snuff Movie va ainsi jalonner sa progression par des oscillations du point de vue adopté, oscillations qui traduisent notamment un questionnement sur le rapport entre l'image horrifique et l'image érotique. Une seconde scène de sexe viendra par exemple produire une dialectique avec cette première séquence, en adoptant une mise-en-scène diamétralement opposée, proche des standards du film érotique. À un autre moment du film, l'actrice principale se dénude dans un cadre anodin, pour les besoins d'une audition, et se trouve gênée de dévoiler ainsi son corps. Le spectateur, pendant de courtes secondes, n'en perd rien... tout comme le petit ami de l'actrice, qui se repassera l'image en boucle lorsqu'il tombera sur le site web diffusant le « snuff » tourné par Arkadin.

Le procédé pourrait s'arrêter là, mais ce n'est que le début. Si le film se stabilise un temps, tandis que l'on suit les auditions du nouveau film d'Arkadin et l'arrivée des acteurs dans sa villa – qui, on l'aura compris, fut aussi le lieu de tournage du film-dans-le-film – Snuff Movie redevient rapidement ce labyrinthe de métacinéma dans lequel chaque image décale la précédente plutôt que de la compléter. Le choix du réalisateur de faire interpréter plusieurs rôles à chacun de ses acteurs principaux achève de déstabiliser le spectateur, qui termine la séance dans une confusion des plus avancées.
L'affaire Manson est placée sous le signe de la mort, mais c'est aussi une source fertile, celle d'images mises en tension par la réalité et la fiction. Les jeunes tueuses aux longs cheveux noirs, les inscriptions ensanglantées sur les murs, la mise à mort de la starlette enceinte sont devenus des marqueurs puissants, des jalons d'une culture populaire fondée sur le voyeurisme et la morbidité.

Les années passants, ces images se sont détachées de toute réalité, pour former un simple réseau sensationnel. En proposant une nouvelle variation sur l'affaire qui reconfigure régulièrement son rapport au regard et au réel, Bernard Rose met en perspective la production d'images pop. Le spectacle offert par Snuff Movie est aussi dense que déstabilisant, puisqu'il refuse toute logique de dévoilement. Comme dans Dossier Secret, d'Orson Welles, dont Rose dit que Snuff Movie est « le remake, et c'est seulement à moitié une blague », chaque retournement constitue un nouveau mensonge, et non une révélation. Le film a donc de quoi perturber le spectateur qui rechercherait un script linéaire, débouchant sur un twist final : l'histoire de Snuff Movie est au contraire celle d'un explosion, d'une existence détruite par un fait médiatique. Boris Arkadin, le Réalisateur, a perdu toute capacité à distinguer faits et fictions le jour du meurtre de sa femme et de ses amis. Ce qu'il prend pour son dernier film pourrait bien n'être que sa dernière tentative de recoller les morceaux, de reconstruire du sens... Mais les mots de Charles Manson résonnent, petite voix du diable qui vient hanter le Réalisateur : « L'absence de sens fait sens. » 

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