Gangnam Blues (Corée du Sud – 2015)

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En 2015, Gangnam-gu est l’arrondissement le plus riche de la tentaculaire cité de Séoul. Situé au sud du fleuve Han, c’est un quartier moderne fait de larges avenues et de hauts immeubles de bureaux appartenant à diverses sociétés des secteurs de la haute technologie. Avec ses nombreux restaurants et lieux de sortie divers, Gangnam est devenu très touristique et populaire auprès des jeunes gens de Séoul, et accéda à une certaine forme de postérité internationale avec le tube viral Gangnam Style du musicien Psy, dont la célébrité quasi instantanée pourrait être le reflet du développement ultrarapide d’un quartier littéralement sorti de terre en l’espace de quelques dizaines d'années. A l’image d’un pays dont l’accession à la modernité s’est faite de manière accélérée depuis les années 1970, Gangnam-gu n’était qu’une vaste région de campagne il y a moins de cinquante ans, peuplée de paysans vivant dans une extrême pauvreté. Poussés par les tensions grandissantes avec le frère ennemi du Nord, ce sont des politiciens corrompus jusqu’à l’os qui ont mis en place le vaste plan de développement qui allait donner naissance à un quartier ultramoderne et exproprier des milliers de paysans bien incapables d’estimer la précieuse valeur foncière de terrains perdus en rase campagne. C’est cette histoire passionnante et complexe que se propose de raconter le nouveau film de Ha Yoo, vétéran du cinéma coréen passé par tous les genres populaires du pays, de la comédie au thriller en passant par le film de sabre.

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A travers les parcours croisés de deux orphelins de Gangnam devenus frères de misère et expulsés manu militari de leur logement de fortune, le cinéaste dresse un portrait que les amateurs de cinéma coréen commencent à bien connaître : celui d’un pays gangréné par la corruption et broyant l’individu sur l’autel du succès économique. Engagés dans un gang au service de politiciens véreux, Jong-dae et Yong-ki vont se perdre de vue lors du saccage d’un meeting politique qui tourne à l’émeute, et s’engager dans des bandes rivales qui œuvrent dans l’ombre au service de politiciens ambitieux et prêts à tout pour accéder au pouvoir. Chacun de leur côté, les deux compères vont passer du statut d’homme de main à une charge de plus en plus importante de responsabilités et de pouvoir au sein de leurs gangs respectifs, dont les intérêts vont bientôt s’entrechoquer, provocant les retrouvailles puis la confrontation inévitable des deux frères devenus ennemis par la force du destin. C’est donc une œuvre très ambitieuse que nous propose Ha Yoo, véritable fresque qui voudrait croiser les figures de style léchées du polar made in Korea avec une minutieuse auscultation politique héritée d’un certain cinéma policier européen des années 1970, dont Francesco Rossi ou Costa-Gavras furent parmi les plus célèbre représentants.

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C’est à la fois l’originalité et la limite d’un film qui pousse la dénonciation politique des polars coréen de ces dernières années un gros cran plus loin en pointant carrément du doigt la classe politique qui a donné naissance à la Corée du Sud d’aujourd’hui. Le long-métrage semble en effet ne jamais véritablement trouver son ton entre film dossier complexe et alambiqué (et parfois franchement difficile à suivre) et action stylisée. Lorgnant du côté des fresques mafieuses tragiques du cinéma de Hong Kong (on pense notamment à Une balle dans la tête de John Woo), Ha Yoo propose une mise en scène bien trop sage et ne parvient jamais à insuffler ce supplément d’âme qui trace la ligne de démarcation entre les œuvres du calibre d’un Memories of Murder et le reste de la production pléthorique du polar coréen moderne. Comme le long-métrage de Bong Joon-ho, Gangnam Blues parvient tout de même a une recontritution réussie de la Corée du Sud troublée des années 1970, époque charnière dans l'histoire d'un pays propulsé brutalement dans le monde moderne au sortir de la guerre avec le voisin communiste. En fin de compte, on en revient encore à la même conclusion face à une cinématographie coréenne qui possède plus que largement les moyens techniques et le savoir-faire pour produire des fresques ambitieuses, mais ne laisse qu’une marge infime à ses nombreux cinéastes expérimentés pour exprimer leur talent et leur singularité. En ce sens, le cinéma coréen est à la fois l’un des plus excitant et des plus frustrant du moment. 

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Ha Yoo propose ainsi un film passionnant mais partiellement raté. Si le dossier à charge convainc, on a cependant du mal à véritablement s’attacher à des personnages dont les affects et les tourments apparaissent anecdotiques au sein d’un scénario ouvertement démonstratif, tandis que les effets de style semblent opportunistes et que la mise en scène manque cruellement de cohérence esthétique. Ainsi, la scène constituant le climax du film, immense et illisible guerre des gangs sous la pluie, en rase campagne et dans la boue, s’impose comme un effet de style forcé et maladroit, et incarne cet échec d’inscrire les ambitions esthétiques du cinéaste dans les enjeux et l’économie du récit. Reste alors une impression de superficialité qui rend difficile l’immersion dans les 135 minutes du long-métrage, et réduit la fresque rêvée en une longue démonstration des forces et des faiblesses du cinéma coréen actuel. Alors que Hollywood a définitivement abandonné toute ambition artistique et banni les auteurs au profit d’une logique de photocopie, seul le cinéma en provenance de Corée du Sud semble à même de proposer des œuvres de l'ampleur de Gangnam Blues. En effet, un film alliant un tel propos avec de vastes ambitions esthétiques et narratives ne semble aujourd’hui pouvoir exister qu’au sein de la cinématographie coréenne, dont l’exploration, bien que frustrante, s’avère toujours passionnante.

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