Last Shift
Last Shift (UK – 2014)
Réalisation/Scénario : Anthony DiBlasi
Interprétation : Juliana Harkavy, Joshua Mikel, J. LaRose | voir le reste du casting
Après le très mauvais Let Us Prey de Brian O'Malley, Last Shift est le deuxième film cette année à s'ouvrir sur un postulat évoquant ouvertement le John Carpenter d'Assaut : une jeune bleue s'apprête à passer sa première nuit de garde dans un commissariat qui vit ses dernières heures avant fermeture. Sa nuit sera perturbée par d'étranges gémissements qui sortent d'un peu partout et par de mystérieux coups de fil d'une jeune femme horrifiée, et apparemment séquestrée quelque part. Pour autant, le film ne nous fera jamais sortir de ce commissariat, qui se fera progressivement envahir par des phénomènes de plus en plus inquiétants.
Si la référence à Assaut ne dépasse pas l'idée du commissariat mourant dans lequel il faut passer une dernière nuit forcément agitée, elle sert de point d'entrée à un film qui se veut Carpenterien de manière beaucoup plus générale. Des longs couloirs profilés desquels on craint de voir surgir le mal (Halloween) aux dimensions qui se heurtent selon une rhétorique de la menace à la fois présente et absente en un même lieu et un même instant (Prince des ténèbres) aux surgissements à la fois profondément physiques et étrangement volubiles (The Ward), tout y passe. Anthony DiBlasi, qu'on a connu plus (Terreur en 2009, Cassadaga en 2011) ou moins (Missionary en 2013) inspiré, ne se livrerait-il ici qu'à un digest Carpenterien ? Pas vraiment, puisqu'il puise aussi dans un imaginaire cabalistique en faisant d'un leader post-mansonien le gourou d'une bande de fidèles tour à tour aguicheuses ou proches des Cénobites d'Hellraiser. Ce qui fait sens, pour un metteur en scène ayant fait ses armes en adaptant Clive Barker. Enfin, et c'est dans ce sens que DiBlasi se montre plus convenu, certains effets de manche horrifiques placent le métrage dans la droite lignée des relectures récentes de Poltergeist, les objets se déplaçant magiquement, à la faveur d'un mouvement de caméra ou d'un raccord filou.
Pour autant, il serait injuste de limiter ce Last Shift à ses influences. S'il ne brille pas par son scénario rachitique et pour tout dire assez paresseux (la fin fait gentiment s'écrouler tout ce que le film a peiné à construire narrativement), on trouve une assez belle vigueur dans l'exploration verticale des images horrifiques qui investissent les lieux. Le commissariat se trouve rapidement sous l'emprise d'une secte démoniaque, et d'un gourou dont le mode opératoire fait tout l'intérêt du film : plutôt que de s'en prendre directement, frontalement à la victime toute désignée que constitue la jeune policière, il préfère l'attaque virale des images, qui lui permettent de traverser l'espace et le temps, puisque l'homme et l'ensemble de ses disciples se sont donnés la mort il y a plusieurs années.
C'est donc à des fantômes que notre héroïne aura affaire, et la grande force du film tient à ses choix quant aux régimes d'apparition de ces fantômes. Dans un premier temps, DiBlasi joue sur le paradoxe insoutenable du lieu vide assailli malgré tout par quelque chose. Plus le film avance, plus il déploie un mode opératoire singulier des fantômes. Il travaille ainsi en profondeur un espace volontairement réduit dans lequel il s'agira d'amener à la fois le vertige du vide et de l'absence, et en même temps l'assaut brutal de ce que ce vide cache et ne parvient plus à contenir. Et ce qu'il ne parvient plus à contenir, ce sont les images d'un passé terrible que les lieux semblent ne pouvoir s'empêcher de vomir.
En outre, la variété des motifs assaillant notre personnage pourtant souvent reclus dans une unique pièce ou un simple couloir fait de Last Shift un petit laboratoire horrifique parfois franchement malsain. Cela débute par d'étranges gémissements, que l'on entend aussi bien à l'autre bout d'une ligne téléphonique qu'à travers des grilles d'aération ou des tuyaux rampant le long des murs du commissariat. Une manière simple et efficace de suggérer d'emblée que l'horreur est à la fois lointaine et proche, dans un ailleurs indéterminé et dans un ici qui ne se dévoile pas encore tout à fait.
La suite multiplie les variations autour de l'invasion d'un lieu pourtant vide. John Paymon, le gourou d'une secte dont tous les adeptes sont déjà morts, n'a plus la possibilité d'investir les lieux physiquement, il le fera ainsi par pénétration diabolique des images ; images préexistantes, puisqu'elles témoignent d'une horreur passée, tentant de contaminer le présent. La nature de l'envahisseur varie (un homme entre sans y avoir été invité, un policier apparaît puis disparaît, laissant voir le trou béant qu'il a derrière la tête, etc.), ses modes d'apparition également : épouvantable fantôme d'une jeune femme rampant – disloquée, au son de ses os qui craquent – qui apparaît et disparaît à l'envi, créant par la mesure une menace potentielle permanente ; le gourou et ses fidèles dont les visages sont représentés de manière plus ou moins monstrueuse.
C'est également le support de ces apparitions que le film multiplie, jouant avec l'espace et les différentes matières sur lesquelles la menace pourra s'imprimer : silhouettes dans un couloir éclairé, présence invisible dans un encadrement de porte ténébreux et, surtout, une multiplicité d'écrans : les écrans de contrôle des salles d'interrogatoire, qui servent de scène à différents protagonistes de la secte, comme un talk-show télévisé privé à destination de l'héroïne. A la diffusion d'images du passé répond la mise en scène de DiBlasi, tout en travellings circulaires et fondus enchaînés, qui suggèrent l'infiltration du mal dans les images, au plus profond des lieux. Ainsi la menace se matérialise moins dans l'espace diégétique qu'elle ne s'insinue dans les images, les transformant, les défigurant. Un plan saisissant montre les jeunes proies de Paymon – le visage détruit et voilé par un masque à travers lequel du sang a traversé – face à un miroir. Le miroir les montre sans masque, toujours vivantes, observant avec insouciance leur devenir épouvantable à travers le miroir. La réalité se situant du côté des masques, et donc de la mort.
A la fin du film, un voile est tendu au travers du décor, toile blanche de cinéma posée là comme arme ultime de Paymon : son pouvoir est contenu dans les images. Ainsi, à force d'avoir usé jusqu'à la corde une série de modes d'apparition classiques (dans les couloirs, les zones d'ombre...), il est obligé d'apparaître par la voie qu'il privilégie : celle du réseau, du passage, des grilles d'aération jusqu'aux voiles blancs en passant par des écrans de télévision. L'image du pouvoir de Paymon est son pouvoir.