Scream Girl (USA  2015)

Réalisation : Todd Strauss-Schulson

Scénario : Joshua John Miller

Interprétation : Taissa Farmiga, Malin Akerman, Adam DeVine...

 

L'édition 2015 du PIFFF s'est ouverte sur la projection de Scream Girl (The Final Girls dans sa version originale). Deuxième long-métrage de l'Américain Todd Strauss-Schulson (plus particulièrement aguerri à la réalisation d'épisodes de séries TV, courts-métrages ou téléfilms) le film nous est présenté comme un méta-film d'horreur, tel qu'a pu l'initier Scream dans les années 90. C'est aussi un bel hommage rendu aux films de série B des années 70 et 80, tels que les passionnés peuvent en entasser dans leur format VHS, un hommage de cet ordre de sentimentalisme.

Le film débute sur un prélude, trois ans plus tôt. Max, jeune fille apparemment discrète et sérieuse, est en voiture avec sa mère, jolie blonde encore pimpante qui peine à faire décoller une carrière d'actrice à la traîne. Au cours des années 80 elle a tourné dans Camp Bloodbath (« la Colo Bain de Sang »), nanar horrifique dans lequel un tueur en série vivant dans les bois décime les moniteurs d'une colonie de vacances. Ce scénario est un schéma bien connu qui nous évoquera pêle-mêle bon nombre de réalisations de l'époque, qu'il s'agisse de Vendredi 13 (1980), Massacre au Camp d'Été (1983), Carnage (1981), etc. etc. Ce rôle aura malheureusement enfermé l'actrice dans une image de jeune blonde tout juste bonne à montrer ses jambes et jouer les victimes. Manifestement pas du genre à se laisser abattre, elle s'amuse tout de même avec sa fille quand un grave accident va les faucher en pleine route. Max en réchappera. Pas sa mère.

Trois ans plus tard, nous retrouvons Max visiblement toujours traumatisée par cette perte. Une séance hommage à Camp Bloodbath est organisée dans le cinéma de la ville et Duncan, nerd fanatique du film, la supplie de venir participer à l'événement : la présence de la fille d'une des actrices, quoi de plus exceptionnel. Max finira par céder à contre-coeur à la demande de Duncan, et nous voilà à la soirée en question. Mais tandis que le public amassé dans le cinéma assiste à la projection, un incendie se propage qui crée un mouvement de foule. Max et ses amis s'échapperont en traversant la toile de l'écran... et se retrouveront piégés à l'intérieur du film lui-même. Pour en sortir ils vont devoir jouer le jeu, traverser son scénario sans se faire tuer pour parvenir à la fin de l'histoire.

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Comme c'est souvent le cas avec les méta-films, Scream Girl renvoie à des images miroir, des mises en abyme. Ainsi de la scène dans le cinéma qui nous fait survoler en travelling les fauteuils rouges emplis de spectateurs. Ces spectateurs sont venus voir Camp Bloodbath par amour pour les slashers ; c'est pour la même raison que nous sommes si nombreux au Grand Rex ce soir-là.

L'écran de projection déchiré fonctionne comme une porte vers un monde parallèle : Max fend la toile à l'aide d'une machette à l'instant même où le tueur abat son arme dans une simultanéité de miroir, une fois encore. De la toile fendue jaillit une lumière aveuglante, un passage qui mènera le groupe tant vers le monde de la fiction, de l'illusion, qu'à la rencontre d'eux-même. De cette manière on pourrait rapprocher leur immersion de De l'Autre Côté du Miroir et ce qu'Alice y Trouva, où le voyage d'Alice dans un monde à la logique absurde mais possédant ses lois propres, poussera la fillette à évoluer (ses déplacements dans l'espace pouvant se comparer à ceux d'une pièce d'un jeu d'échecs, partie gagnée lorsqu'elle vaincra la Reine).

De la même manière Camp Bloodbath dicte insidieusement ses règles. Max et son groupe d'amis conservent leur libre-arbitre, leur capacité de réflexion et d'action, contrairement aux acteurs du film (la mère de Max comprise) qui se contentent de suivre un scénario préétabli, aux scènes et dialogues datés. Mais s'ils vont à l'encontre de la volonté du film, c'est à dire s'ils fuient l'histoire et tentent de s'échapper de la colo, ils se retrouvent piégés dans une boucle temporelle, la scène se répétant à l'identique jusqu'à ce qu'ils modifient leur décision.

Et la logique du film est : tous ceux qui ont des relations sexuelles sont tués, la seule à en réchapper est la final girl, nécessairement vierge. Il faut donc rester à ses côtés pour espérer survivre. Seulement ici, la final girl d'origine sera tuée prématurément, obligeant les autres à revoir leur plan.

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Suivant son statut de « parodie de slasher » le film présente dans un premier temps des clins d’œil, clichés et références à ces réalisations des 80's. Les fringues trop kitsch, le ciel trop lumineux, les dialogues trop mauvais (« jolies jambes... à quelle heure elles ouvrent ? »). Duncan est le spectateur parfait, qui connaît les moindres détails du scénario, chaque réplique par cœur, et ira jusqu'à faire un selfie avec le tueur – paroxysme de la blague du fossé des générations. Il aura le temps d'expliquer toute la situation aux membres du groupe, ultime coup de main avant de se faire supprimer.

Car Duncan n'était en effet qu'un ressort comique de l'intrigue, et passé les premières blagues Scream Girl se resserre sur le genre horrifique. Peu à peu l'envie de rire s'estompe et la tension commence à se faire sentir à mesure que le jour décline (il faut dire que les premiers morts ont calmé la troupe). C'est malheureusement là que le film montre ses limites. Après un départ frais et prometteur, le scénario s'avère sans grande originalité. Si le côté parodique et la mise en abyme nous ont amusés, le combat contre le méchant boogeyman est un thème qu'on ne présente plus, et qui aurait besoin d'un nouveau souffle. Souffle dont manque Scream Girl, qui finit par ressembler à n'importe quelle autre production de son époque. Et pourtant, le film constitue déjà une prise de recul sur les conventions horrifiques, et un appel à renouveler le genre.

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C'est que Todd Strauss-Schulson s'est surtout basé sur un aspect du scénario, qui n'appartient pas proprement au genre horrifique : la relation de Max et sa mère. Un aspect plus émotionnel et psychologique, qui vient enrichir le simple slasher. Le film commence sur une Max bloquée dans son passé, qui n'arrive pas à faire le deuil d'une perte survenue trop brutalement. Revoir sa mère à ses côtés sera une terrible épreuve pour la jeune fille. Une mère jeune elle aussi, à peine sortie de l'adolescence, insouciante mais surtout dont Max n'est pas la fille, qui ne la connaît même pas – puisqu'elle n'est que Nancy, personnage un peu fade et limité de Camp Bloodbath. Leurs rapports vont donc devoir se réinventer totalement, et ce sera à la fille de sympathiser en douceur avec celle qu'elle désire approcher. Mais cette tentative de reconquête ne pourra être durable et Max devra accepter de dire adieu à sa mère une fois pour toutes, celle qu'elle identifie comme telle n'étant qu'une image, une autre qui lui ressemble.

Dans une scène particulièrement émouvante Max sera donc amenée à revivre la mort de sa mère, cette fois-ci en toute conscience et en la regardant – en regardant la mort – dans les yeux. Revivre son traumatisme pour l'exorciser. Cette fois-ci la mort trouvera son sens, qui ne sera plus tragédie absurde mais don pour la survie de l'autre, dans un geste d'amour qui pourrait être filial s'il ne s'agissait pas du personnage de Nancy. Plus que le combat contre le boogeyman, c'est cette scène qui sera décisive pour Max, son épreuve ultime, qui la mènera à un niveau supérieur de réalisation d'elle-même. Après quoi elle pourra tuer le méchant, embrasser son prétendant, gagner et s'affirmer à tous les niveaux. Prendre le pouvoir sur sa vie, enfin.

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L'intérêt que l'on peut porter à Scream Girl réside donc dans la figure de Max ; mais dans chacune de ses figures féminines également. A ce propos il est intéressant d'observer comme le film dans son titre français nous annonce un personnage central unique (la scream girl) tandis que sa version originale, The Final Girls, nous évoque l'idée de plusieurs héroïnes potentielles.

Car en s'introduisant dans ce Camp Bloodbath le groupe se confronte à un monde aux règles et codes dépassés, et qu'ils vont justement tenter d'outrepasser. Le scénario premier du film promettait à ses personnages un destin bien défini suivant le timing de l'intrigue, un équilibre entre horreur humour et sexe, et suivant le rôle réservé à chacun : le beau gosse dragueur, la jeune fille timide, la rigolote, jusqu'à la final girl qui sera donc la seule à ne pas mourir. Mais Max et consorts changent totalement la donne, si bien que la place de dernière survivante est remise en jeu. Et pourquoi pas, être plusieurs à choisir cette place, tenter de tous survivre. De tous se battre.

Cette situation amène une ouverture nouvelle qui poussera chacune des filles à prendre du recul sur elle-même et tenter de saisir comment elle se définit, se catégorise, pour si possible se redéfinir par la suite. Quel rôle veulent-elles incarner, qui veulent-elles être vraiment. Ces catégorisations enfermantes étaient bien sûr inévitables pour des personnages de film, comme Nancy qui s'émerveillera à l'idée de pouvoir aller à l'université, conduire une décapotable : pouvoir réaliser l'existence qu'elle désire et ne pas nécessairement rester « la fille timide avec le presse-papier et la guitare ». Mais ces restrictions sont tout aussi valables pour les personnages « réels » tels que Vicki qui s'était composé un comportement de sale garce égoïste. Dès lors qu'elle réalise tenir le rôle de la « méchante » son comportement se modifiera totalement et nous la verrons sous un autre jour.

Scream Girl est donc un appel à sortir des dogmes d'un genre prédéfini, à s'extraire de carcans réducteurs qui peuvent avoir cours dans le cinéma d'horreur comme dans n'importe quel autre genre. Mais il est également un appel à nous même, à nous extraire des conformismes inculqués par notre éducation, les médias, nos croyances, le regard des autres ou notre propre regard pour devenir un être neuf, aux potentiels illimités. A noter tout de même que cette ouverture reste réservée aux personnages féminins, tandis que les hommes demeurent en retrait et n'évoluent guère : soit ils n'en n'ont pas le temps car meurent trop rapidement ; soit il s'agit de rester derrière Max comme une demoiselle apeurée. Cette inversion discrète des rapports de force propose une vision féministe de la question.

Question qui rappelle irrésistiblement le discours de fin de la série Buffy The Vampire Slayer, où Buffy annonçait la possibilité, pour chaque fille de par le monde, de devenir tueuse. Rendant par là-même obsolète le rôle d'élue contre lequel elle s'était longtemps insurgée, le message de Buffy appelait chaque spectatrice de la série à prendre le pouvoir, symboliquement et concrètement, sur son existence. Un message de force, d'indépendance, de courage. Scream Girl ne va pas jusque là puisque malheureusement il n'y aura tout de même qu'une rescapée, mais ce regard nouveau aura déjà permis à chacune d'évoluer dans sa réflexion et son rôle de départ.

 

Ainsi, ce « méta-slasher » propose un regard introspectif du cinéma d'horreur par le retournement du film sur lui-même ; mais également un retournement des personnages sur eux-même. Ce regard empreint d'une grande lucidité nous amène à porter compassion et sympathie aux personnages ; et finalement au film lui-même.

Sans être révolutionnaire il s'agit donc d'une réalisation à la réflexion intéressante, que l'on peut d'ores et déjà découvrir en VOD faute d'une sortie en salles.

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