Last House on Dead End Street (USA – 1974)

Réalisation : Roger Watkins

Scénario : Roger Watkins

Interprétation : Roger WatkinsKen FischerBill Schlageter 

 

Après un an d'emprisonnement pour trafic de drogues, Terry entend bien régler ses comptes avec l'industrie cinématographique locale qui l'a si courageusement soutenu en le dénonçant et décide de se lancer lui aussi dans la réalisation. Le sexe ne se vend plus autant qu'avant et le public est en demande de nouvelles sensations, mais c'est pas très grave, justement ça colle bien avec deux-trois idées qu'il a en tête concernant un tout nouveau créneau.

Le film est précédé d'une réputation absolument sulfureuse, plus ou moins soutenue par la disparition énigmatique du réalisateur (et de la plupart du casting, tous sous pseudonymes) pendant plus de trente ans jusqu'à ce que ce dernier ne revendique la paternité du film en Novembre 2000. Roger Watkins, ainsi que l'ensemble de son équipe, était étudiant en Art Dramatique à l'université d'Oneonta dans l'état de New-York, et de son propre aveu, accro aux amphétamines, le film a donc été finalement réalisé avec pour ainsi dire un cinquième de son budget initial, le reste ayant été englouti dans l'achat de substances que vous devinerez, il n'aurait peut-être même bien pu ne pas voir le jour sans la participation de Ken Fischer, un membre du casting et ami du réalisateur, qui s'est occupé des prises de vues et de l'éclairage, ainsi que de trouver les emplacements de tournage. Le processus de distribution échappa complètement à Watkins et les premières projections légendaires (puisque accompagnées de violences – voire même de l'incendie pur et simple d'un cinéma de Chicago) n'étaient en aucun cas son montage original. Le film disparût totalement de la circulation pour devenir progressivement, au fil des décennies, un objet un peu mythique et culte, une des légendes du cinéma underground à propos duquel on se demanda longtemps si tout simplement les meurtres montrés à l'écran n'avaient pas étés perpétrés en vrai.

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Cette thèse ne tient évidemment pas la route ne serait-ce qu'une minute au visionnage de la version la plus communément diffusée, qui en l'état, s'impose cependant haut-la-main comme une pierre angulaire du cinéma transgressif, peut-être parce que le film convie une esthétique qui sied au genre, l'emploi de lieux déserts ou en démolition (et pour cause) et pour s'en convaincre pensons au segment Headless dans le tout récent Found de Scott Schirmer au regard de la scène d'étranglement dans l'entrepôt désaffecté. Le choix du titre au premier abord un peu opportuniste (faisant référence au Last House On the Left de Wes Craven) n'a rien à voir avec Watkins non plus, qui se situe davantage dans la continuité de la démarche de Gordon-Lewis et n'a que faire du suspens et des courses-poursuites pour ne s'intéresser uniquement qu'aux plaisirs inavoués que procure la séquestration d'une tierce personne et sa mise à mort dans une totale impunité. On pourrait même se dire que seul l'intéresse le châtiment, ainsi que la façon de l'infliger si l'on est pas un peu habitué, ou forcément touché, par le côté «ritualisation» que peut prendre l'horreur parfois. Je reste persuadé que le registre transgressif (et je ne parle ici en aucun cas comme étant un spécialiste pour autant), c'est un peu comme le jazz, c'est une éducation, ça s'apprend et si au départ on ne dispose pas d'une première «pré-disposition», d'une première «affinité» ce qui est en quelque sorte un peu mon cas, on peut très bien se méprendre. Il m'aura fallût quelques projections douloureuses (pour mon estomac fragile) avant de comprendre que derrière cette profusion des fluides se tenait au contraire une vraie célébration du vivant.

Ici encore, après la scène d'amputation sans anesthésie, on voit bien que notre crew redispose des morceaux de chair épars autour de sa victime en guise de derniers sacrements, une sorte de rédemption non pas pour eux, mais pour elle, petite chose qui comme qui dirait, aurait égarée en route la partie d'elle-même un peu sacrée - celle-ci lui est en quelque sorte rendue en définitive, à travers la mort. C'est ce qui je crois, continuera d'être un éternel malentendu entre le public et le genre transgressif, un côté pas si nouveau du «œil pour oeil» mais dont on ne saisit pas toujours l'acharnement à montrer les derniers filaments accrochés, et c'est pourquoi il vaut toujours mieux lui donner un cadre si l'on veut éviter de se confronter au risque de la confusion d' avec la perversion ou le voyeurisme. Mais après tout, la bourgeoisie ici dépeinte (comme n'importe quel bourreau par ailleurs) ne manque pas non plus d'exhiber des signes extérieurs d'onanisme dans l'auto-célébration et l'étalage de ses attributs, on ne peut donc pas complètement en vouloir à ces jeunes idéalistes (aux premières heures de leur conscience politique naissante après tout, hein ça je crois que c'est bien flagrant aussi) d'avoir voulu rappeler à cette charmante communauté si accueillante un aspect un peu oublié de la physicalité de ce qui constitue leur fond de commerce. Watkins explicite tout ceci très bien dans ce rare interview car à un moment la question se pose en effet, «est-ce que son film ne serait-il pas plutôt un manifeste anti-pornographie?» ce à quoi il répond que non, ce serait plutôt un manifeste «anti-pornographes» , à l'intention d'une certaine caste d'individus pas très fréquentables que l'on retrouve un peu trop souvent malheureusement dans les rangs de la profession, et qu'il considère absolument ses  héros  comme des espèces d'«Anges Exterminateurs».

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Les critiques de l'époque accueillirent le film assez tièdement, notamment à cause de certaines scènes considérées comme un peu embarrassantes, mais ils furent bien obligés de reconnaître qu'il y avait bel et bien une intelligence à l'ouvrage et c'est ce qui nous intéresse ici : Watkins était en effet quelqu'un qui a commencé très tôt à s'intéresser au cinéma, aussi bien fasciné par Bergman que Peckinpah, et comme il l'explique également dans le lien plus haut, il s'est intéressé à la thématique des snuff-movies pour se faire remarquer, sachant qu'il n'était absolument pas en mesure de réaliser le projet de ses rêves, ni de rivaliser avec les grands studios – ce qui ne dilue en rien la force de son propos. Rares en effet sont je trouve, les films où l'abject et le sublime auront co-éxistés d'aussi près, et j'ai été bien plus tétanisé par toute la première partie concernant l'installation à proprement dite, où le personnage de Terry cherche ses «subsides» plutôt que par son entrée dans le vif du sujet si vous me passez l'expression, et où Watkins enchaîne à la minute les morceaux de bravoure en offrant une narration à mi-chemin entre le documentaire et l'expérimental par un emploi judicieux à la fois du montage alterné et de la voix-off, ainsi qu'une maîtrise qui impose le respect en ce qui concerne l'agencement des décors et éclairages naturels, et qui tous ensemble emportent le récit vers des sommets (et que l'on a pas manqué de relever comme étant une préfiguration manifeste du cinéma d'Abel Ferrara) – je pense tout particulièrement à la courte séquence consacrée au quotidien de l'une des comédiennes, très réflexif, on nous la présente comme se remettant d'un événement traumatisant mais on ne sait pas très bien quoi, jusqu'à ce qu'on la retrouve un peu plus tard dans l'un des films d'exploitation du réalisateur à qui finalement Terry s'en prendra. Une touche intimiste complètement impromptue mais d'une beauté à décrocher la mâchoire.

La courte dépiction de toute la faune interlope que rencontre Terry sous-prétexte de trouver des fonds, mais en réalité pour remonter jusqu'à ses victimes annonce presque par certains aspects les marges déglinguées du Blue Velvet de David Lynch, si ce n'est qu'il s'agit ici de marges aisées, et constitue je crois une autre grande réussite du film, à mi-chemin entre John Waters et Richard Kern, aussi bien qu'entre Charles Burns et Daniel Clowes , une classe bourgeoise en mal de sensation qui s'enfonce toujours plus dans une décadence où le plus malsain provient surtout de drôles de relents d'auto-célébration perceptibles ici et là : la bourgeoise se maquillant par exemple le visage à la cire avant de se faire fouetter dans son salon devant ses invités - que Terry et ses acolytes, tout entiers dans leur démarche, finiront d'ailleurs par marquer au fer dans l'intimité d'une cave un peu plus tard. Scène dont l'impact repose beaucoup sur l'emploi des chuchotements, conférant encore une fois une dimension un peu mystique à l'ensemble par le côté lancinant de la répétition des mêmes répliques , même si hélas c'est pas pour dire grand-chose, ce qui je trouve, perturbe en quelque sorte la lecture des intentions initiales. A côté de ça, on trouve des idées de mise-en-scène absolument brillantes, toujours avec les moyens du bord, comme la superbe scène d'hystérie où Terry pète un plomb et tabasse à mort sa victime en adoptant la posture de «l'artiste tyrannique» - comble du comble, la minute d'avant on faisait jouer à la victime la scène de sa propre mort, mais en utilisant à merveille le délabrement des lieux, avec une simple fenêtre dans un mur en guise à la fois d'écran de projection et de scène.

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Aussi, même s'il demeure donc assez difficile de se faire une idée exacte du film de Watkins dans la version telle qu'il l'aurait souhaitée, une majeure partie de ses intentions restent présentes et bien manifestes (même s'il aurait coupé deux-trois trucs par-ci par-là, comme la scène de fellation du pied de biche -empaillé- ou peut-être effectué d'autres choix à d'autres endroits) et si j'ai pu le décrire comme étant une sorte de film hybride à l'intérieur duquel cohabitent différentes identités visuelles, ce sont au final tous ces éléments hétéroclites qui lui confèrent son identité propre et n'en finissent pas de le rendre d'autant plus fascinant. Structurellement, avec un peu de recul, on voit bien que l'essentiel du film repose sur une simple dynamique de contraste - ce petit effet de comparaison un peu facile entre une jeune fille qui réalise qu'elle est en train de gâcher sa vie devant un magnifique coucher de soleil, et la visite guidée du vestiaire de la petite bourgeoisie qui elle, peut se rouler dans la merde et en ressortir indéfiniment propre. Le tort de Wartkins aura peut-être été de refuser de passer par le prisme d'un genre en particulier, pour finalement en asseoir un tout nouveau, par accident. Les zombies de Romero ne cessent de tendre au visage de la civilisation ses propres ruines, Watkins lui, aura préféré l'interroger sur ses origines, sans plus d'artifices que deux-trois morceaux de barbaque.

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