Spy Time
Spy Time (Espagne - 2015)
Réalisation : Javier Ruiz Caldera
Scénario : Pablo Alén, Breixo Corral, Fernando Navarro d'après la bande-dessinée de Manuel Vázquez Gallego
Interprétation : Rossy de Palma, Carlos Areces, Quim Gutiérrez | voir le reste du casting
Depuis 2009, Javier Ruiz Caldera creuse le sillon de la parodie de films de genre : après s'être attaqué à l'horreur ibérique contemporaine dans son spoof movie Super Drama Movie, il a signé en 2013 une assez bonne comédie fantastique mêlant film de fantôme et teenage movie des années 80, Ghost Graduation. Il continue en revenant cette fois-ci avec une parodie de James Bond adaptée d'une bande dessinée espagnole, Anacleto : Agente Secreto, dont le titre international est devenu Spy Time. Si l'on fait remarquer la constance parodique de son œuvre, c'est en fait pour louer une véritable progression, puisque Caldera a, au fil des films, délaissé le spoof, parodie visant à se moquer du matériau de base, au profit d'un cinéma plus rêveur, réinvestissant des codes et des motifs non plus avec cynisme, mais avec tendresse.
La première séquence de Spy Time est très drôle, et en dit long sur le programme du film : Caldera – espion vieillissant dans un costard qui le fait davantage ressembler à Lee Marvin dans A bout portant de Don Siegel qu'à n'importe quel James Bond – marche en plein milieu du désert. Il peste parce qu'il n'en voit pas le bout, mais n'en continue pas moins de marcher, sans perdre sa démarche iconique d'espion smart de cinéma. Le sable jaune et l'aridité du paysage donnent l'impression – renforcée par la lettrine du générique – que ce pauvre espion est perdu dans un western. Pourtant, le film ne jouera jamais sur la tension possible entre ces deux genres, pas plus qu'il ne tirera au forceps l'un de ces fameux films à virages génériques qui pullulent depuis quelques années (grosso modo, de Doomsday à Bone Tomahawk). Il préférera toujours convoquer des motifs et jouer avec comme un enfant.
Puisque c'est avant tout l'histoire d'un éternel enfant. Adolfo vient de se faire larguer par Katia, sa petite amie qui lui reproche son apathie et son manque de goût pour l'aventure. Il se trouve qu'Adolfo est justement le fils d'Anacleto, même s'il ignore que son père est un espion. Cette déconvenue affective sera suivie d'une remise en question, et la révélation parentale servira évidemment de tremplin à sa transformation en héros pour enfin plaire à sa douce.
Là où Spy Time est réussi, c'est qu'à la parodie ricanante à la Austin Powers à laquelle on peut s'attendre au début, se substitue très rapidement une rêverie de gosse : Adolfo, une fois de retour symbolique dans sa chambre d'enfant, va en adopter la moue jusqu'au bout et va progressivement incarner le super espion international qui pourra mettre un costard et emballer la fille. Le premier glissement se fait d'ailleurs, et ce n'est pas innocent, dans ce qui apparaît comme un rêve que feraient Katia et Adolfo en même temps. Un Chinois pénètre par effraction dans leur appartement en pleine nuit, et je le jeune homme maladroit lui met soudain une dérouillée grâce à une force et une habileté dont il ignorait tout. Il parvient à le tuer, veut raconter cet événement incroyable à Katia. Il tente de la réveiller, mais face à ce qu'il lui raconte elle opine du chef, encore à moitié endormie, comme si tout était normal. Adolfo se fait alors assommer par un nouveau visiteur, et lorsqu'il se réveille les évènements de la veille semble avoir appartenu au rêve commun d'un couple qui se déchire faute d'héroïsme.
Ce grand enfant qui parcourt le film est évidemment à la recherche d'un père qu'il n'a jamais connu, et qu'il faudra tuer. Caldera et ses scénaristes ont l'idée, touchante, de faire de l'ensemble de la mission du jeune homme un simple prétexte à l'honneur d'une promesse faite jadis par le père : apprendre à son fils à conduire. Du reproche de Katia au début du film jusqu'au moment où Anacleto, avant de tirer sa révérence, apprend à conduire à Adolfo, tout menait ici. Le vrai but se trouvait là : honorer une promesse jamais tenue. En parallèle à cette histoire de passation, Caldera fait du méchant du film nul autre que Vazquez, le dessinateur de la bande dessinée originelle. Si Adolfo doit s'affranchir de son père, le cinéaste cherche dans le même mouvement à se débarrasser de sa source d'inspiration.
Caldera nous prend également à rebours en nous proposant non pas une parodie de James Bond, mais une rêverie bondissante et émouvante (le moment où Adolfo/Anacleto parviendra à lancer sa première punchline de héros est très beau) qui fait curieusement penser, et pour de multiples raisons, à un autre film lui aussi hanté par la bande dessinée : Le magnifique, de Philippe De Broca. Déjà, il y a la ressemblance stupéfiante entre Quim Guttiérez, qui incarne Adolfo, et Jean-Paul Belmondo. Un Belmondo qui interpréterait un gamin de douze ans. Surtout, les deux films semblent se développer à travers la parodie quand ils constituent plutôt un voyage joyeux dans un imaginaire juvénile. L'inverse de la parodie donc, puisqu'il n'y a pas de second degré. On trouve également une même propension au dérapage violent. Ainsi, à la scène des hectolitres de sang formant d'infernales rivières dans Le magnifique, répond cet instant stupéfiant où la petite amie du héros se fait sauvagement et soudainement crever l'œil à l'aide d'une petite clé carrée. Figement de la comédie, instant saisissant qui ne parvient pourtant pas à briser la drôlerie de l'ensemble. Simplement, il lui donne un certain piquant, une amertume qui pimente la drôlerie. D'autres moments du film ne sont pas en reste puisqu'on y parle gaiement de petits meurtres en famille, d'inceste, de crise économique aussi... Un geste de cinéma qui semble décidément coller à l'Espagne, puisqu'on peut y voir quelque chose d'Alex De La Iglesia.
Spy Time est donc un film à la fois très référencé mais dont la clarté et la fraîcheur de ton (extraordinaire fin, à la fois surprenante et diablement logique), l'absence de velléité ricanante et une candeur incarnée magnifiquement par Guttiérez qui s'impose comme une véritable révélation comique, convainquent largement. Plus encore que Ghost Graduation. On veut la suite, vite !