Cut Bank (USA - 2014)

Réalisation : Matt Shakman

Scénario : Roberto Patino

Interprétation : Michael Stuhlbarg, , John Malkovich | voir le reste du casting

 

De Cut Bank se dégage le parfum d'une Amérique que l'on connaît bien. Celle de Stephen King, David Lynch ou des frères Coen. Celle des frères Farrelly, aussi. Une Amérique où il fait bon vivre, nichée dans son propre fantasme gelé du boom de la mondialisation, mais gangrenée par un Mal souterrain qui la ronge en profondeur. Cut Bank est une petite ville du Montana, rythmée par l'ouverture et la fermeture de son bureau de poste et par les passages nonchalants du Shérif Vogel, qu'on ne saurait appeler autrement, comme si Shérif était son prénom. Une ville paisible pour les uns, morose pour les autres, noyée au milieu de champs de colza qui s'étendent à perte de vue, comme pour figurer un horizon doré illusoire. Une fausse lumière, de l'or plaqué. Les vieux l'habitent avec un bonheur forcé, les jeunes veulent la fuir. Et pour cela, il leur faut de l'argent. L'intrigue s'ouvre ainsi : un jeune homme veut quitter la ville avec sa petite amie, et souhaite réunir le pactole qui le lui permettra. En filmant sa petite amie en pleine répétition de son intervention au concours de miss local (une idée superbe, entre Twin Peaks et P'tit Quinquin, à côté de laquelle le cinéaste passera, malheureusement), il gravera un meurtre sur l'image. Le meurtre du facteur, abattu de sang-froid. Un agent des personnels fonctionnaires promet une prime importante pour celui qui aidera à identifier l'assassin, et surtout à retrouver le corps. Mais le corps n'existe pas, puisqu'il s'agit d'un faux meurtre, une escroquerie qui risque donc de n'aboutir à rien.

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Le film de Matt Shakman s'inscrit clairement dans une double tendance actuelle. Le regain du film Noir country ces dernières années (L'autre rive de David Gordon Green, Winter's Bone de Debra Granik, Blue Ruin de Jeremy Saulnier) et la grosse influence du cinéma des frères Coen sur bon nombre d'œuvres récentes (Cold in July de Jim Mickle, Cop Car de Jon Watts, sans oublier la série adaptée de Fargo). Cette dernière tendance est d'ailleurs la plus prégnante dans Cut Bank, et la plus problématique. Dans Cop Car, Watts excellait à créer de l'étrangeté (proche d'ailleurs d'un merveilleux qui n'existe pas vraiment chez les Coen) grâce à de longs et méthodiques dérèglements d'un monde absurde et hostile. Ici, on se contente trop souvent de la copie vraiment trop voyante. On ne compte plus les moments où l'on pense fortement à Fargo, à No Country for Old Men, à Blood Simple. La citation à répétition ne se fait souvent qu'à son seul profit, sans chercher à la transcender ou à lui faire dire autre chose, sans lui donner une nouvelle direction ou impulsion. Difficile également d'adhérer à des motifs consciemment clichés, mais dont la conscience est si aiguë et si creuse qu'elle fait retomber son motif dans le cliché : l'American Native mutique, pour ne citer que lui.

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Ce qui sauve Cut Bank de la catastrophe et du plagiat pur, c'est paradoxalement la candeur incontrôlée dans laquelle il avance, semblant croire inventer les formes qu'il emprunte ailleurs. C'est là qu'il trouve un élan bis qui peut faire mouche. Le début et la fin du film, qui se répondent avec un mélange de douceur et de cynisme, sont très beaux. L'interchangeabilité permanente du statut des morts est des vivants est pertinente, aussi : les morts ne le sont pas, des personnages apparaissent dont on croyait qu'ils avaient perdu la vie, des champs-contrechamps s'opèrent de sorte qu'on a l'impression qu'un meurtre est observé à travers l'œil d'un mort, etc. Jusqu'à l'instant glacial où l'un des enquêteurs se retrouve coincé entre deux regards morts : celui d'une femme de cire et, de l'autre côté, la représentation de ce même personnage sur un puzzle. L'incarnation mortifère du rêve américain se regarde lui-même, d'un échange de regards vides au milieu desquels les vivants se trouvent prostrés. Cut Bank connaît ainsi quelques fulgurances, qu'on regrette un peu de voir enserrées dans un écrin trop clairement identifié, et trop impersonnel.

6692018

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