Aaaaaaaah !
Aaaaaaaah ! (UK - 2015)
Réalisation/Scénario : Steve Oram
Interprétation : Jade Alexander, Julian Barratt, Missa Blue | voir le reste du casting
On ne fera pas au Aaaaaaaah ! de Steve Oram le procès d'un manque de radicalité : pendant 1h20, nous y suivons des personnages vivant dans ce qui ressemble à l'Angleterre d'aujourd'hui, avec des vêtements et des appartements très contemporains, mais qui se comportent... comme des singes, suite à « un bug existentiel » nous prévient le dossier de presse (le film ne nous parle pas, il hurle et piaille). En revanche, on lui fera à peu près tous les autres. De procès.
On comprend bien la volonté d'Oram (amère et moralisatrice) de peindre nos bassesses comportementales de tous les jours avec le pinceau du documentaire animalier, mais l'ensemble est gênant à plus d'un titre. En premier lieu, la plupart des situations ne fonctionnent pas. Les personnages se comportent à la fois comme des singes (exemple : ils chient sur le carrelage de leur cuisine) et comme des hommes civilisés (ils ramassent puis jettent à la poubelle). Le film est plein de ce genre de moments qui brisent la moindre intention, qui ne racontent plus rien puisqu'en quelque sorte le pacte est rompu. Ces personnages sont une sorte de mélange entre des primates et des hommes modernes, en gros quand cela arrange le semblant de scénario dont se sert le film. Mais le parallèle ne peut pas fonctionner si la frontière entre l'animal et l'homme est perméable. On ne peut pas gober un monde dans lequel deux types se comportent dans une forêt comme s'ils étaient des singes, mais qu'ils sont malgré tout habillés comme vous ou moi et allument une cigarette.
Là où le film trouve une certaine force, c'est dans la clarté de ses situations, alors que les personnages se contentent de crier et de rouler des yeux. Le problème, c'est la nature de ces situations. Très vite, Aaaaaaaah ! s'affirme comme un prétexte à montrer du trash, sous couvert de propos métaphysico-sociologique. On chie par terre, on se vomit dessus, on se balance de la farine en pleine figure... Dans ses meilleurs moments, le film ressemble à une version amateur (c'est dire) de Jackass. Dans ses pires moments, c'est simplement embarrassant et irregardable. Le pire étant dans ce que le cinéaste cherche à raconter de notre monde. S'alignent ainsi une série de vignettes visant à fustiger notre mode de vie. Les singes, c'est nous, ça on l'a bien compris. Mais nous, qu'est-ce que c'est ? Des êtres qui se livrent, avec la même sauvagerie, à toutes ces pratiques affreuses que sont le fait de manger, de jouer à des jeux vidéo, de faire l'amour, de boire des coups, de faire la fête... A force, le film ressemble à une version expérimentale et hystérisée d'un flash-info M6 : regardez, vous qui ne comprenez pas vraiment ce qu'ils font, à quoi se livrent nos jeunes...
Si la charge puritaine n'est peut-être pas absolument volontaire, une telle décharge de négativité et d'hystérisation réprobatrice portée à chaque situation de ce genre (alors que ces séquences semblent justement être la seule motivation du film) donne vraiment l'impression que le cinéaste condamne sans appel tout ce à quoi se livrent animalement nos personnages.
Pourtant au départ, l'idée avait de quoi intriguer. Et la forme était au diapason. On croirait en fait regarder des rushes des Idiots de Lars Von Trier, des séquences non montées mais surtout auxquelles il manquerait le principal : l'altérité. Chez Von Trier, les meilleurs moments étaient ceux qui voyaient nos faux idiots se confronter au regard de ceux qui ne croyaient pas l'être, les gens « normaux ». La tension entre ces deux univers portait le projet du film. Ici, pas d'altérité, chacun est singe. Mais du coup, pas la moindre tension, pas le moindre regard, et l'impression persistante de voir des êtres se traîner malgré eux dans la boue de leur quotidien, tandis qu'un cinéaste scénariste (auteur de l'affreux Touristes de Ben Wheatley, d'ailleurs) ne cesse de nous taper sur la tête en nous répétant : « Regarde, c'est toi ! »