The Invitation (USA - 2015)

Réalisation : Karyn Kusama

Scénario : Phil Hay, Matt Manfredi

Interprétation : , Emayatzy Corinealdi, Michiel Huisman | voir le reste du casting

 

Will et Kira reçoivent un curieux carton d'invitation pour une soirée de retrouvailles organisée par l'ex-femme du premier et son nouveau mari. De vieux amis de l'ancien couple répondent présents, à part l'un d'entre eux qui tarde à arriver. Deux curieux personnages que personne ne connaît sont là aussi. Très vite, Will va avoir un mauvais pressentiment quant aux intentions de son ex et de son compagnon.

Le nouveau film de Karyn Kusama (Girlfight, Jennifer's Body), huis-clos paranoïaque, apparaît dès le départ chevillé à son scénario. Très dialogué, attentif aux interactions entre les personnages mais surtout soucieux de filer droit vers son dénouement, The Invitation déploie son théâtre des opérations comme un drame de chambre. Un drame très vite investi par une tension insidieuse qui, au départ ne dit pas son nom. On comprend toutefois rapidement ce que redoute Will : la séparation d'avec son ex-épouse fût consécutive à la mort de leur enfant, et il craint que le désespoir l'ait conduite à adhérer à une secte, dont certains des membres seraient présents ce soir, avec en tête un but précis. Mais lequel ?

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On avance dans le film en épousant le regard de Will. Les relations qu'il entretient avec les différents invités sont esquissées intelligemment, à travers des regards, des postures, des manières de se partager le cadre. Le premier acte développe ainsi, en parallèle à la ligne directrice de son récit, une cartographie des liens qui existent entre lui et les autres. On le devine complice avec tel personnage, plus distant vis à vis d'un autre. Entre Kira et lui, le courant ne semble pas vraiment passer, mais c'est la mise en scène qui nous le dit, la manière dont les regards se perdent dans les raccords, dont ils semblent s'oublier l'un l'autre alors même qu'ils sont assis côte à côte. Ce réseau affectif rend d'autant plus abyssal le gouffre qui le sépare des deux mystérieux personnages qu'il ne connaît pas : une jeune femme intranquille qui lui apparaît pour la première fois à moitié nue, et un cinquantenaire dont on ne comprend pas vraiment ce qu'il fabrique ici.

Dans son premier acte, le film fait de la grande maison bourgeoise, que l'on devine sur les collines de Los Angeles, un espace où s'évalue la distance qu'entretient Will avec les autres, et avec les choses. Elle est ainsi un enfer chargé de souvenirs (il s'agit de la maison qu'il occupait jadis avec son ex-femme et leur fils), autant qu'un dédale où se profilent des couloirs qui n'aboutissent nulle part, ou qui voient surgir des personnages aux motivations incertaines, un espace à la fois fermé et ouvert sur des vitres qui cloisonnent elles aussi par les reflets qu'elles renvoient. A mesure que le récit se développe, on cherche les réponses moins dans le dialogue que dans des coins du décor, dans l'absence étrange d'un personnage, dans la présence mystérieuse d'un autre.

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L'assujettissement du film à son récit et la contrainte du lieu unique semblent malheureusement poser beaucoup de problèmes à Kusama. Trop souvent, sa mise en scène est fonctionnelle, et tente de donner artificiellement du relief à sa situation à l'essence trop théâtrale. Le film est ainsi rempli d'afféteries stériles : ralentis, usage lourdingue de la musique (par ailleurs assez irritante), dynamisme hasardeux lorsqu'un personnage quitte les lieux pour entendre, en off, ce qu'un autre (qui n'est plus là) est en train de lui dire...

De plus, à mesure que le mystère se désépaissit, le développement déçoit. Le script ne tient finalement pas ses promesses dans la mesure où l'angoisse sans objet dépasse amplement les motifs de cette angoisse. Le final terriblement convenu, tombe comme un soufflet et met en pièces ce que le film a pourtant mis de l'énergie à construire. Kusama réussit à rendre plus intéressant le développement souterrain d'un motif récurrent anxiogène (l'embrassade, répétée plusieurs fois dans le film, et qui ne cesse d'interroger l'angoisse du personnage) que la ligne principale de son récit.

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Contrairement au récent The Sacrament (Ti West, 2013) qui questionnait la nature d'une certaine imagerie et dialectique visuelle des sectes, The Invitation ne fait finalement que puiser dans des clichés pour les réinvestir tels quels. La jeune femme en robe fine aux fêlures trop voyantes, le vieux gourou placide, etc. Le film est d'ailleurs peu chiche en clichés grossiers : le couple homosexuel version soap opéra, l'adhésion à la secte effectuée au Mexique (la menace vient forcément de l'étranger)... Autant de poncifs d'une maladresse assez aberrante.

Le film éveille davantage l'intérêt lorsqu'il se rapproche des intentions d'un Martha, Marcy, May, Marlene (Sean Durkin, 2011), et cherche à transmettre le basculement de l'incroyance à l'impossibilité de valider les motifs de sa paranoïa. L'intuition de Will échoue à trouver ses propres raisons, ses accusations restent longtemps infondées. Le film scrute, avec intelligence, les moments fragiles où l'incroyance devient poreuse, où la force persuasive du modus operandi sectaire parvient à ses fins, où la soumission est proche. Ces instants où Will ne parvient pas à trouver la preuve de la folie des autres, et qu'il tient alors ses intuitions pour un symptôme de sa folie à lui.

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