The Woman
The Woman (USA - 2011)
Réalisation : Lucky McKee
Scénario : Lucky McKee, Jack Ketchum
Interprétation : Pollyanna McIntosh, Brandon Gerald Fuller, Lauren Ashley Carter | voir le reste du casting
Bête de festival depuis quelques mois, The Woman rendait visite à Gérardmer, tristement hors compétition. Suite de l'adaptation du roman Offspring de Jack Ketchum par Andrew van den Houten, McKee et l'auteur de The Lost et Une fille comme les autres signent de paire un roman et un film : The Woman. L'histoire débute là où s'arrêtait celle d'Offspring, tout en s'affranchissant totalement de la nécessité de s'affirmer comme une suite du premier. D'ailleurs, de manière révélatrice, le « working title » Offspring : the Woman est devenu en cours de route le simple et direct The Woman.
Une famille d'Américains moyens, constituée autour de l'aura indéboulonnable d'un patriarche déterminé, enferme dans sa cave une femme sauvage et cannibale trouvée par le père alors qu'il chassait. Il décide alors de la civiliser et pousse sa famille à l'y aider. Cette femme, investissant l'espace par une gestuelle et un regard fascinants, acquiert très vite l'aura d'un monstre du sous-sol gagnant très vite, à l'instar d'un roman de Matheson ou de King, un rayonnement symbolique différent pour chaque personnage. Elle est un peu la tache noire au milieu du lac dans un épisode de Creepshow 2, qui prodigue à chaque personnage une terreur d'un type différent. McKee n'en reste pas là dans son étude d'une simplicité archétypale des caractères. La famille est ainsi composée du père autoritaire, de la femme soumise et un peu malmenée, de l'adolescente perturbée pour des raisons que l'on découvre progressivement, du jeune fils marchant sur les pas de son père, et enfin de la petite fille qui évolue seule dans un monde qui n'appartient qu'à elle.
La Femme (puisque c'est son unique nom, et qu'il s'agit aussi d'un nom générique) représente donc une chose différente pour chaque personnage. Pour le père, c'est un objet de contrôle lié essentiellement à sa sexualité. Pour le fils, l'attirance est la même, mais la fascination qu'il éprouve pour elle est très différente, puisqu'elle est porteuse d'une quantité de sentiments enfouis de l'adolescence : l'inexpérience sexuelle, ou la masturbation face à une image sans implication obligatoire de rapport humain. La Femme évoque aussi pour lui (on pense énormément au Deadgirl de Marcel Sarmiento et Gadi Harel, dont nous vous parlions dans le numéro 4 de Torso) la fascination des animaux morts (ou sur le point de mourir) qu'on enterre et qu'on a besoin de retourner voir régulièrement pour observer la manière dont ils évoluent. Pour l'épouse, c'est une figure contradictoire convoquant à la fois une culpabilité terre à terre (a-t-on le droit de garder captif un être humain ?) et un objet de jalousie intense. Pour l'adolescente, la Femme est également porteuse de culpabilité, mais la question de l'éducation s'y retrouve mêlée : a-t-on le droit de garder captif un être humain pour le civiliser, pour le faire devenir un semblable ? La question de la filiation chez une adolescente perturbée est extrêmement claire.
La perception de la petite fille, plus immédiatement sensitive, possède moins un sens symbolique qu'une manière de porter le film dans des sphères plus cosmiques, moins psychologiques. La Femme et la fillette ont une relation fusionnelle suggérée dès le début du film par la découverte bienveillante d'un bébé par la sauvage. Ces deux personnages n'auront pas eu, l'occasion pour l'une, le temps pour l'autre, d'être pollués par la manière dont notre société construit les rapports humains et les structures familiales. Elles sont donc attirées l'une vers l'autre pour, ensemble, vivre à l'écart de ces rapports humains consolidés autour d'un patriarcat finalement aussi sauvage, sinon plus, que la Femme qui donne son titre au film.
Esthétiquement, The Woman est une terrible balade, tendre et violente, énergique et pesante, construite comme une succession de « scènes type » renversées par l'apparition de cette Femme qui fait littéralement exploser cette famille et l'apparence d'unité qu'elle donnait jusqu'ici. Cette explosion finale est annoncée tout au long du film par un long délitement, celui du récit étant figuré par celui de l'image, régulièrement alimentée de fondus-enchaînés, et ponctuée de fondus au noir. Comme pour annoncer la chute progressive, à travers un renversement de ses valeurs, de cette famille américaine moyenne, donc normale. La photographie insiste également, pour compléter encore le motif du trou noir qui habite tout le film, sur le détachement ou le rattachement régulier des personnages dans un fond noir qui les aspire ou les recrache. Il faut voir surgir le regard de la Femme de la pénombre de la cave. Ce noir qui menace de tout aspirer, n'aspire finalement que ce qu'il condamne. Il offre un final bouleversant aux allures de fin du monde expirante plutôt qu'explosive, où les femmes finiront par vivre ensemble et laisser s'éteindre la race humaine plutôt que de la perpétuer avec ces créatures terrifiantes que sont les hommes. Et il y a, paraît-il, des idiots pour taxer le film de misogynie.