Under The Shadow (UK, Iran, Jordanie, Quatar) - 2016

Réalisation/Scénario : Babak Anvari

Interprétation : Narges Rashidi, Avin Manshadi, Bobby Naderi | voir le reste du casting

 

Téhéran, fin des années 80. La révolution culturelle est morte depuis longtemps, et s'écrasent désormais sur la capitale iranienne autant de missiles irakiens que d'idées réactionnaires appliquées avec un zèle de tout les instants. Shideh, ancienne étudiante très contestataire, paie ce passé par une impossibilité d'intégrer une école de médecine. Tandis que son mari, lui-même médecin, est détaché dans une zone de combats, elle se terre chez elle avec sa fille. Le quotidien, rythmé par des explosions plus ou moins lointaines et la sirène qui somme son monde de se replier au sous-sol, prend une tournure plus inquiétante encore le jour où un missile se plante dans le toit de l'immeuble, mais n'explose pas.

D'emblée, Under The Shadow séduit par l'aisance avec laquelle il slalome entre les genres. Plus que le mélange de réalisme social et d'épouvante à la James Wan dont tout le monde parle au sujet du film, on est d'abord frappés par la grande cohérence entre différentes influences du cinéma fantastique. On pense évidemment à L'échine du diable (Guillermo Del Toro), pour les liens avec l'Histoire et pour le motif du missile menaçant d'exploser et réveillant les fantômes. Mais l'isolement progressif dans cet appartement à la fois étouffant et trop plein d'ouvertures menaçantes évoque tout autant Répulsion de Polanski (les fissures au plafond qui changent sans cesse de configuration), l'Hideo Nakata de Ring ou Dark Water (la relation maternelle, la terreur domestique diffuse) et, c'est difficile d'y échapper ces temps-ci, Poltergeist (Tobe Hooper).

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Lorsque point dans le récit la menace d'un djiinn et, plus encore, lorsque sa forme devient celle d'un drap, on pense un peu naïvement avoir cerné le film, et sa métaphore transparente sur l'oppression féminine. Cela aurait pu suffire, puisque l'idée d'une mère se repliant avec sa fille avant de se faire attaquer par un démon qui adopte l'allure enfantine d'un drap blanc est, en soi, très touchante. Mais la menace a des origines plus complexes qu'il n'y paraît.

Au début du film, un voisin accuse Shideh d'avoir laissé la porte du garage de l'immeuble ouverte. Son mari la défend, et demande pourquoi ce serait elle. Le voisin répond que ça ne peut être aucun des hommes vivant ici, et que Shideh est la seule femme ici autorisée à conduire. Cette accusation arbitraire est peut-être la clé d'un film qui ne cessera de parler de ce qu'on a laissé ouvert, de ce qu'on n'a pas réussi à réparer pour laisser entrer la menace. Le scotch qui coche chaque fenêtre pour ne pas que les vitres se brisent, motif aliénant du film, les portes qu'on ouvre et qu'on claque sans réussir toujours à garder ensemble les personnes qui doivent se réunir, tout cela illustre cette idée de porte soi-disant non fermée : Shideh doit porter sur elle l'accusation d'avoir mal refermé une porte, donc d'avoir laissé entrer un démon, mais l'accusation porte réellement, de manière tacite, sur le fait initial de l'avoir ouverte.

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Le djinn qui assaille nos héroïnes à mesure que les autres habitants de l'immeuble fuient Téhéran ne représente pas la seule oppression dont est victime Shideh, mais la manière dont l'oppression extérieure se transforme insidieusement en doute. Le film évite le cliché du personnage que tout assaille en en faisant certes une femme forte et pleine d'un désir d'affranchissement, mais dont les petites fautes et l'accusation des autres font vaciller petit à petit les certitudes. L'accusation initiale de cette fameuse porte de garage laissée ouverte s'enrichit rapidement d'autres griefs : sa volonté de devenir médecin, naissant d'un désir de reconnaissance maternel plus que d'une envie d'en venir en aide aux autres ; les nombreuses fois où elle s'enfuit en laissant sa fille derrière elle, en danger, les hommes qui la rabaissent en permanence, les autres femmes qui jouent le jeu réactionnaire et patriarcal... C'est l'ensemble de ces pressions qui donnent forme à la menace et cherchent à engloutir (littéralement, comme dans ce plan où le djinn n'a pour seul visage qu'une énorme bouche béante) nos deux héroïnes.

La coda, qui fait de l'œil à celle de L'exorciste, dresse un triste constat : dans une société qui prive de libertés, on ne peut que s'enfermer et donner raison à nos détracteurs, ou bien fuir. La fuite étant vue ici comme un échec et une fatalité, qui n'éloignera nos personnages des ténèbres que pour les y plonger à nouveau, à coup sûr, bientôt.

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