BuyBust (Philippines – 2018)

Réalisation : Erik Matti

Scénarion : Anton C. SantamariaErik Matti

Interprétation : Anne CurtisBrandon VeraVictor Neri | voir le reste du casting

 

Le cinéma d’action est un genre à part dont l’Asie a souvent été un terreau fertile. Pourtant, à chaque fois qu’un nouveau film de baston fait le tour des festivals précédé d’une réputation solide, le scepticisme est de mise, car les films en question s’avèrent trop souvent mal fagotés, narrativement paresseux et trop éloignés des sommets du genre pour susciter un véritable enthousiasme. Si dans ce type de film le scénario n’est généralement guère plus qu’un prétexte à chorégraphier à n’en plus finir les milles manières de mourir par la main de ses congénères, la clé de la réussite réside dans une maîtrise de la spatialisation de l’action et dans la fluidité de l’information qui circule dans ces espaces hyperactifs. Chez les grands maîtres du genre, de John Woo à John McTiernan, il est toujours question de filmer l’espace, dans sa verticalité ou son horizontalité, comme un terrain à la géographie millimétrée au sein duquel se développent des trajectoires contradictoires qui devront fatalement se croiser, débouchant sur une crise de l’espace, un chaos destructeur dont l’enjeu reste souvent le contrôle du territoire et sa réorganisation en fonction de la volonté des uns ou des autres. La contrôle de l’espace, et le pouvoir qui en découle, est l’enjeu premier des grands films d’action que sont, pour ne citer qu’eux, Piège de CrystalUne journée en Enfer ou encore À toute épreuve. Toute la difficulté réside dans l’impossibilité de montrer l’espace dans son ensemble, et la tension entre le champs et le hors-champs, entre les recoins que l’on montre et ceux qu’on choisi sciemment de laisser imaginer par le spectateur, constitue un exercice d’équilibre précaire qui est l’apanage des experts de ce genre bien particulier.

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À ce titre, le long-métrage philippin Buybust représente une réussite majeure autant que relativement inattendue, et qui surpasse de très loin le film d’action étalon de ce dernières années auquel il est inévitablement comparé : le très surcoté The Raid. Délaissant la verticalité de ce dernier, le film d’Erik Matti plonge le spectateur dans l’enfer des bidonvilles philippins, sur les talons d’une équipe d’intervention musclée partie faire la guerre aux trafiquants qui contrôlent le territoire. Cet espace clos sur lui-même et essentiellement composé de minuscules ruelles qui serpentent entre des cabanes de tôles, représente à la fois un décor idéal et plus vrai que nature, mais aussi un sacré challenge de mise en scène. L’une des très belles idées du cinéaste est de ne pas considérer simplement l’horizontalité de son décor tentaculaire, et de systématiquement inclure une verticalité limitée mais décisive dans la diffusion de l’action. En effet, le bidonville est également bâti autour des multiples passerelles et escaliers qui mènent à un deuxième niveau, les toits de tôle composant un deuxième plancher instable, abritant potentiellement une menace mortelle. Confrontés à une véritable armée d’ennemis qui sortent de toutes parts et se mêlent à la population locale, les protagonistes qui tentent de survivre dans cet enfer urbain sont forcés de considérer avec précision l’ensemble de la géographie au sein de laquelle ils évoluent, dont les méandres et les brèches multiples sont autant de pièges mortels qu’il faut systématiquement retourner en sa faveur pour continuer une progression inexorable.

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Avancer est ici l’unique option, même si c’est fatalement s’enfoncer toujours plus en enfer avec la promesse de croiser des ennemis belliqueux, et chaque personnage qui perd la vie est avant tout une trajectoire qui s’arrête brutalement. La mise en scène est ici virtuose lorsqu’elle s’applique à rentrer dans le détail, s’attarde sur les regards des personnages vers un hors-champs dynamique, fait monter la tension entre le calme transitoire de ruelles désertées et les fébriles façades de bicoques en tôle dont on garde toujours à l’esprit qu’elles abritent potentiellement un ennemi. La géographie exigüe des lieux provoque aussi de nombreux combats au corps-à-corps qui abandonnent la virtuosité technique au profit d’un réalisme sec à l'âpreté brutale. L’autre très belle idée, qui offre une ampleur nouvelle au film, est d’ancrer cette histoire de baston à mort dans la réalité sociale d’un pays dont la violence est malheureusement bien réelle. Sans donner au cinéaste des intentions qui ne sont pas les siennes ni exagérer la portée politique de l’œuvre, il faut tout de même saluer le courage et la volonté de dénoncer la corruption endémique et le mensonge criminel qui sous-tend la « guerre contre la drogue » qui est au centre de la politique menée par l’un des présidents les plus sanguinaires de la jeune histoire du 21e siècle.

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Cette révélation finale en forme de tragique prise de conscience pour le personnage principal révèle que cet ennemi qu’on croyait larvé au fond de son antre tentaculaire n'est en fait qu'un pion sur l’échiquier du crime, manipulé par ceux-là mêmes qui ont envoyé l’escouade à l’abattoir. Et si le film reste avant tout un terrain de jeu qui compose avec la violence de manière ludique et peu réaliste (ce sont de véritables torrents d’ennemis qui se déversent sur les personnages), ce sous-texte politique lui offre une résonnance nouvelle. Cette ouverture sur un autre espace, plus vaste et ancré dans la réalité, est symbolisé par un dernier plan sublime, qui voit la caméra survoler l’interminable bidonville avant de s’élever vers l’horizon très proche d’un centre-ville de gratte-ciel ultra-modernes, connectant l’espace fermé et misérable aux puissances de la politique et de l’économie. Une manière simple et efficace de rappeler que tout espace clos n’est jamais qu’un organe dans l’anatomie d’un espace plus vaste, mais aussi que l’extrême violence des quartiers pauvres illustrée ici n’est que l’expression et le résultat de politiques criminelles, et enfin peut-être aussi que le cinéma, aussi ludique et outrancier soit-il, ne cesse jamais d’être un échos du réel.

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