BIFFF 2019-American Animals
American Animals (UK, Etats-Unis – 2018)
Réalisation/Scénario : Bart Layton
Interprétation : Spencer Reinhard, Warren Lipka, Eric Borsuk | Voir le reste du casting
Goguenard, le film nous prévient dès le début. Alors qu’un visage est en train de se maquiller, en gros plan, la mention : This is not based on a true story. Avant que not based on ne s’efface, laissant l’annonce à la fois complémentaire et opposée : This is a true story. On croit d’abord à un panneau arrogant promettant une approche plus réaliste que la plupart des films prétendument inspirés de faits réels. Ce n’est pas ce que cette annonce signifie.
Le dispositif est étrange, et participe d’emblée au désamorçage de la fiction : un film de braquage, de fiction, avec des acteurs, narrant l’histoire (vraie, donc) d’une bande d’étudiants du Kentucky ayant tenté en 2004 le vol lamentablement raté d’un onéreux livre d’illustrations enfermé dans la bibliothèque du campus. La particularité étant de plaquer, en parallèle, le témoignage des véritables protagonistes du cambriolage, face caméra.
Mais pas seulement face caméra, puisque Bart Layton décide ingénieusement de ne pas limiter leur champ d’action au simple fauteuil d’interview, mais de les immiscer dans le récit fictionnel. Deux témoignages diffèrent sur un même événement, qu’à cela ne tienne. La partie fiction mélangera les versions, et un personnage secondaire sera alternativement un jeune homme au foulard bleu ou un vieux type au foulard rouge. Au sein de la même séquence. Les acteurs réaliseront des apartés durant lesquelles ils prendront en charge le récit de leur avatar inversé, dans leur personne réelle. A certains moments, un protagoniste du véritable braquage rencontrera, dans la fiction, son double qui l’interprète.
Si le procédé peut parfois paraître superficiel et tape-à-l’œil, il révèle en même temps le beau projet du film, qui prend à revers le sens que l’on pouvait donner au double carton introductif. Ce n’est pas une histoire. La fiction prend le réel et se fabrique à partir de lui, mais en s’en affranchissant au passage, fatalement. Ainsi, à mesure qu’avance le film, la forme offre à cet événement un traitement ultra-fictionnalisé : séquences très rythmées, mise en scène sophistiquée, bref, aucune velléité documentaire, bien au contraire. Jusqu’au moment où les choses se mettent à tourner au vinaigre, et où le moindre obstacle devient un véritable problème, que les personnages ont à gérer. C’est à ce moment, ténu, que l’on se rend compte de l’orientation du film : faire tendre la réalité vers la fiction pure et, au moment où les choses se craquellent, donner à la fiction la difficulté, le côté laborieux du réel. Le film fait ainsi dialoguer des hommes, bien réels, qui crurent en une fiction à laquelle la présente fiction rend hommage, avant que la réalité de les rattrape, comme le réel rattrape le film.
Deux images en miroir méritent à elles seules le déplacement. Le jour du braquage, Spencer, l’un des braqueurs, est terrorisé à l’arrière de la voiture qui le conduit à l’université pour le grand événement. Par la fenêtre, il est interpelé par quelqu’un, qui ramasse son journal dans le jardin. On reconnaît fugacement le véritable Spencer Reinhard. Leur regard se croise. Le personnage de fiction croise ainsi une version lumineuse de son avenir. Il s’en sortira, le regagnera le monde réel dans une maison, où tranquillement il ramassera le journal le matin. Ce sera la vie qu’il craint actuellement, une vie simple et sans aspérité, mais qui a le mérite immédiat d’avoir la séduction appeurée de la sécurité. A la fin du film, Reinhard se lève de son siège, durant lequel il a été interviewé pour les besoins du film. La caméra le suit cependant, elle n’en a pas fini avec lui. Il ouvre son garage, sort sur sa pelouse. On est chez lui, à Lexington, au lieu de la fiction, qu’il n’a jamais quitté dans la réalité. Et il voit passer la voiture qui transporte quelqu’un sur lequel il s’attarde, le suit le long de son passage sur cette route. On ne le reverra pas, mais on le sait. Il regarde partir son avatar, à la fois son passé et la fiction qu’il incarnait à l’époque. Il le regarde partir pour un cauchemar dont il reviendra meurtri, et qui le laissera planté là, sur son éternelle pelouse, ramassant son éternel journal.